Park Geun-hye, Présidente maternelle

Park Geun-hye, surnommée la “reine des élections” pour en avoir remporté 5 d’affilée, n’aura pas failli à sa réputation. Elle est devenue hier la première femme élue Président de la République de Corée avec 51,6% des suffrages.

Pourtant ses obstacles étaient nombreux et de taille : première femme candidate sérieuse dans une société où la misogynie est ancrée dans les mentalités de tous mâles coréens, y compris dans celles des jeunes ; fille du Général Park Chung-hee, qui régna sur la Corée de 1961 à 1979, qui certes enclencha son décollage économique, mais réprima toute opposition à son régime dans le sang au point que la moitié de l’opinion publique coréenne s’en souvienne aujourd’hui comme d’un dictateur ; enfin, candidate d’un parti au pouvoir de centre droit, le Saenuri, plombé par des affaires de corruption et par une Administration sortante exsangue, battant record d’impopularité sur record d’impopularité.

La victoire de Park est d’abord la défaite de l’opposition, incapable de proposer une alternative crédible aux électeurs coréens. Jusqu’aux dernières semaines précédant les élections, celle-ci fut incapable de s’entendre pour départager Moon Jae-in, candidat du Parti Démocratique Unifié (PDU), principal parti d’opposition de centre gauche, de Ahn Cheol-su, candidat indépendant. Au bout de négociations infructueuses, ce dernier se retira in extremis pour ne pas précipiter une défaite certaine de l’opposition si elle se présentait divisée, mais le mal était déjà fait et malgré quelques timides manifestations de Ahn pour Moon, l’élan de l’opposition était brisé.

Une occasion d’autant plus manquée pour l’opposition que d’un point de vue des programmes, les différences entre les deux partis étaient minimes: même diagnostic sur l’augmentation des inégalités sociales, le déclin démographique, le chômage des jeunes ou la précarité des retraités, même promesse d’un Etat providence renforcé pour y remédier, même volonté de limiter la puissance des Chaebols, ces conglomérats coréens qui jouissent d’une situation d’oligopole sur le marché coréen, même incapacité à proposer une ligne de conduite claire vis-à-vis de la Corée du Nord, etc.

C’est ici qu’apparaît l’une des spécificités du jeu politique coréen. Car à l’exception de la menace de la Corée du Nord, qui paradoxalement ne fait pas partie des préoccupations majeures de l’électorat sud-coréen, la situation de la Corée du Sud est finalement assez comparable à celle de n’importe quel pays industrialisé: une perception de crise économique, l’augmentation des inégalités sociales auxquelles tentent de remédier deux grands partis de gouvernement ayant tour à tour déçu à l’épreuve du pouvoir au cours des 10 dernières années et dont les programmes politiques sont aujourd’hui sensiblement identiques.

Face à un tel cas de figure en France, la tentation d’une partie des électeurs les plus en difficulté serait d’envisager des solutions radicales, d’aller vers les extrêmes. Or cette tentation n’est pas envisageable en Corée: l’extrême gauche ne peut être qu’inexistante dans la mesure où elle est apparentée au frère ennemi du nord, tandis que les thèmes généralement privilégiés par l’extrême droite ne sont pas pertinents dans le contexte coréen: les immigrés ne peuvent pas être la cause principale des maux économiques et sociaux vu leur faible proportion dans la population.

Les élections en Corée se gagnent donc généralement au centre, en fonction de la force de séduction que les deux partis seront capables d’exercer auprès de la catégorie des électeurs sans appartenance politique claire, insensibles aux clivages régionaux très forts en Corée (la Province de Jeolla-do au sud ouest, fief du PDU, a voté à plus de 80% pour Moon, tandis qu’au Gyeongsangbuk-do au sud-est de la péninsule, fief du Saenuri, c’est Park qui l’emporte avec plus de 80% des suffrages), votant tantôt à droite, tantôt à gauche selon leurs préoccupations du moment.

Lors de ces élections cette catégorie des indécis fut elle-même l’objet d’un fort clivage autour de la figure de Park : un clivage de génération. Pour la génération des seniors, celle qui a connu la guerre, la misère et la faim, Park est la fille du père fondateur de la Corée moderne et prospère. Fille d’autant plus méritante et valeureuse qu’à 22ans, alors étudiante en échange à Grenoble, elle dut perdre sa mère, tuée par les balles d’un espion nord-coréen qui visait son mari lors d’une allocution publique ; suite à quoi Park assuma le rôle de Première Dame jusqu’à ce que son père fut à son tour assassiné par le chef de ses propres services secrets.

Pour les jeunes générations, la perception est inverse: Park est la fille d’un général dictateur brutal qui a sali ses mains du sang de patriotes qui ont combattu pour la démocratie en Corée. Moon a d’ailleurs lui-même été emprisonné par le régime de Park-père. Elire sa fille, qui n’a connu que les dorures du pouvoir et n’a aucune idée de la réalité du quotidien difficile du Coréen moyen, serait un anachronisme, une aberration historique, un danger pour la démocratie, voire pour certains une honte nationale.

A bien des égards, l’issue de ces élections dépendait de la capacité de chaque camp à mobiliser sa génération d’électeurs. Et à ce jeu là, Park s’est montrée bien plus adroite que Moon. Elle a d’abord su habilement jouer sur l’héritage de son père : en s’excusant tardivement sur les souffrances causées par le régime de son père mais en se réfugiant derrière l’argument de piété filiale, valeur centrale dans la société confucianiste coréenne, pour ne pas aller trop loin dans la critique, Park a réussi un numéro d’équilibriste consistant à rassurer les uns tout en confortant les autres.

Park a également été redoutable dans l’exploitation de son image de femme: d’abord plutôt silencieuse sur ce sujet afin de limiter les risques auprès d’un électorat généreusement misogyne, elle a finalement trouvé le bon angle pour transformer cette faiblesse potentielle en avantage certain: la figure de la mère coréenne, faite de dévotion, de courage, d’abnégation, et de sacrifice pour la réussite de son mari et son fils ainé. La mère coréenne n’est pas séduisante mais douce, elle n’est pas tentatrice mais apaisante, elle n’est pas dangereuse mais rassurante. Bref Park est mère plus que femme, la mère de tous les Coréens, entièrement dévouée à la Nation, ce qui tombe bien parce qu’elle est célibataire, sans enfant et qu’on ne lui connait aucun compagnon.

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Présidentielles en Corée: la dernière ligne droite.

 

On connait maintenant les deux finalistes de la course à la présidentielle en Corée, dont les élections auront lieu dans moins d’un mois. Ils étaient trois jusqu’à présent: Park Geun-hye, candidate du parti de centre droit au pouvoir ; Moon Jae-in candidat du principal parti d’opposition de centre gauche, ancien avocat défenseur des droits de l’homme et ancien membre du cabinet du Président Roh Moo-hyun; enfin Ahn Cheol-su, entrepreneur multi-millionnaire, professeur et philanthrope, candidat indépendant entré en politique sur le tard et porté par un électorat assez hétéroclite mais plutôt jeune et lassé de la classe politique actuelle.

L’issue de cette course à la présidentielle semblait assez simple: si Ahn et Moon, les deux candidats de l’opposition, arrivaient à unifier leur candidature à partir d’une plateforme commune comprenant notamment la volonté de battre le camp conservateur, de lutter contre les inégalités sociales et d’adopter une approche plus conciliante vis-à-vis de la Corée du Nord, alors ce candidat unique aurait de sérieuses chances de l’emporter. Si par contre les deux s’évertuaient à maintenir leur candidature alors les électeurs voulant l’alternance se répartiraient dans des proportions trop similaires pour que l’un des deux ait une chance de l’emporter face au candidat unique de la droite car, rappelons-le, le président coréen est élu pour cinq ans lors d’un suffrage direct à un seul tour.

À quelques semaines des élections, on pourrait penser que le plus dur est fait pour l’opposition, dans la mesure où Ahn Cheol-su déclara vendredi dernier qu’il se retirait de la course à la présidentielle. La voie semble libre pour l’autre candidat de l’opposition, Moon Jae-in, qui devrait fédérer autour de lui tous les opposants au camp des conservateurs. Mais il n’en est absolument rien: on peut difficilement interpréter le retrait de Ahn comme un désistement en faveur de Moon mais plutôt la conséquence de l’impossibilité des deux camps d’arriver à un accord de gouvernement qui aurait permis de présenter une candidature unifiée.

Ca n’est pourtant pas faute d’avoir essayé: les dernières semaines ont été remplies de rencontres et pourparlers intenses émaillés de pressions diverses, fuites à la presse, volte-face, suspensions, tentatives avortées de consultation publique par voie de sondage, etc. La pression fut énorme autour des deux candidats pour arriver à un accord: jeudi dernier un cinquantenaire se suicidait même en laissant une note implorant Ahn et Moon de s’entendre. Mais à quelques jours du dépôt officiel des candidatures, les positions des deux camps n’étaient pas réconciliées: Moon et ses partisans mettant en valeur son expérience, et le soutien du principal parti d’opposition pour faire de lui le meilleur représentant du camp progressiste et le plus apte à gouverner, tandis que Ahn et les siens avançaient son indépendance, son charisme au delà des clivages politiques traditionnels pour justifier qu’il soit le meilleur des deux candidats pour battre la candidate conservatrice Park Geun-hye.

C’est suite à cette impossibilité d’arriver à un compromis, que Ahn en prit acte publiquement vendredi dernier et par conséquent, déclara son retrait de la course afin de préserver mathématiquement les chances d’une alternance politique.

Difficile de prédire si ce soutien par défaut suffira pour qu’un nombre suffisant des sympathisants de Ahn rejoignent le camp de Moon, d’autant que les soutiens du premier dépassaient les traditionnels clivages partisans: un certain nombre d’entre eux pourraient être tentés de rejoindre l’autre camp avec lequel leurs convictions politiques traditionnelles seraient le plus en phase. Les sondages donnent pour l’instant les deux candidats restants au coude à coude.

Difficile également d’interpréter les motivations réelles derrière cet apparent acte de sacrifice de Ahn pour le bien de l’alternance politique. Est-ce la fin de sa courte aventure politique, ou est-ce au contraire le retrait tactique d’un homme qui fait de plus en plus le choix d’une carrière politique ? Car il passe son tour cette fois-ci, mais il pourrait apparaître comme le recours de choix cinq ans plus tard, surtout si le gagnant de ces élections-ci déçoit.

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Le nouveau Président français vu de Corée: le choc Hollande sur l’économie mondiale

Les élections présidentielles françaises ne sont pas passées inaperçues en Corée. Et si la majorité des Français serait bien incapable de nommer le Président sud-coréen (Lee Myung-bak), à l’inverse une majorité de Coréens connait au moins Sarkozy de nom, la plupart pouvant même citer l’un des faits marquants de sa présidence: son mariage avec Carla Bruni. A l’heure où son successeur entre à l’Elysée, voici un panorama de la couverture de l’élection présidentielle par la presse coréenne.

Le JoongAng Ilbo, quotidien conservateur, a bien du mal à cacher sa peine de voir “les socialistes pour la première fois au pouvoir depuis 17 ans“, oubliant au passage les 5 ans de gouvernement Jospin (mais il est vrai qu’en Corée, le Premier Ministre n’est qu’un directeur de cabinet du Président).  Le quotidien qui titre “Le choc Hollande sur l’économie mondiale” affirme que “le changement pour Hollande c’est renverser toutes les mesures mises en place par Sarkozy.” Si Hollande a remporté les élections, c’est parce que son discours aurait su séduire “tous ceux qui ont dû se serrer la ceinture suite à la crise” en promettant notamment la création de 60 000 postes dans l’Education Nationale et le retour de la retraite à 60 ans.

Mais le quotidien ajoute que Hollande n’a pas précisé comment il financerait ses mesures. “Tout juste a-t-il parlé d’imposer les très riches à 75% et les hauts revenus à 45% au lieu de 41%.” Le JoongAng Ilbo en est persuadé: “beaucoup craignent la logique des socialistes: augmentation des impôts -> augmentation des dépenses publiques -> remise à flot de l’économie -> croissance économique -> création d’emplois“. Et de conclure en citant un électeur d’un quartier huppé parisien: “Si Hollande passe, je m’exile.”

Le Chosun Ilbo, premier quotidien du pays et également conservateur, n’est pas non plus étouffé par la joie et titre également “Le choc Hollande sur l’économie mondiale”. Il offre un panorama plus complet de l’impact de l’élection de Hollande: une remise en cause des choix du couple Merkel Sarkozy au profit de la croissance et au détriment de la rigueur budgétaire, et le retrait prématuré des troupes françaises d’Afghanistan. Le quotidien rappelle également la situation médiocre dans laquelle Sarkozy laisse la France: “10% de chômeurs, le plus haut niveau depuis 13 ans, 1,6% de croissance économique et l’humiliation d’avoir perdu son triple A.”

Face à cette situation le quotidien rappelle les choix du nouveau Président de “taxer la finance, et supprimer les avantages fiscaux pour les très grandes entreprises.” Une politique contraire à celle de Sarkozy qui prônait “la valorisation du travail et le développement de l’activité par les réductions d’impôt.” En somme pour le quotidien, Hollande  met l’accent sur la lutte contre les inégalités de la société française, plutôt que sur l’efficacité économique, choix qui expose au risque de voir les capitaux fuir la France. le Chosun Ilbo cite en exemple l’entreprise de biotechnologie Eurofins Scientific qui aurait choisi de déménager son siège au Luxembourg, et les “riches Français qui affluent sur le marché immobilier anglais.

Mais il n’est pas sûr qu’Hollande puisse mettre en oeuvre sa politique car pour le quotidien l’écart du second tour est moins élevé que prévu et les élections législatives sont incertaines. Hollande devra donc ménager le centre pour qui la rigueur budgétaire est un enjeu primordial.

Le Donga Ilbo, troisième grand quotidien national et lui aussi conservateur, est sans surprise sur la même ligne que ses deux confrères, affirmant qu’avec la prise de pouvoir des socialistes pour la première fois depuis 17 ans en France (décidément!), conjuguée à l’issue des élections en Grèce, c’est la politique d’austérité qui monte à l’échafaud, “replongeant l’Europe dans la tourmente.” Le quotidien consacre également un article à Valérie Trierweiler, première Première Dame de France non mariée et working mom.

Il faut ouvrir les pages du quotidien de gauche Hankyoreh pour entendre un son de cloche différent. Pour le Hankyoreh, l’élection de Hollande ouvre la voie à une autre sortie de la crise par une politique de la croissance et de la prospérité, car pour le nouveau Président, “l’austérité ne doit pas être une fatalité.” L’Europe est-elle à un tournant? Pas si sûr pour le quotidien, et surtout trop tôt pour le dire car les élections déterminantes pour l’Europe auront lieu en septembre prochain en Allemagne, et l’avenir de l’Europe dépendra du score que réaliseront les sociaux-démocrates allemands et leurs alliés écologistes.

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