Séoul – Paris

De retour à Paris après 7 mois d’absence en immersion à Séoul, les contrastes entre ces deux villes sont d’autant plus frappantes.

 

Le temps

Ca peut paraître une hérésie aux oreilles des provinciaux mais Paris est une ville où l’on peut prendre son temps. Bien sûr le Parisien a son lot de stress et d’urgences, mais comparé à son homologue Séoulien, il trouve du temps pour soi-même. Quel soulagement de voir parmi les passants quelques badauds, alors que marcher à Seoul ne se conçoit pas autrement que pour aller d’un point A à un point B dans un but précis. Quel plaisir de prendre un café sans autre ambition que celle de regarder les gens passer, alors qu’à Seoul il faudrait justifier cette consommation par un rendez-vous amical, galant ou professionnel.

 

Le service

A Séoul, le client est roi. Quand il commande un écran plat sur Internet, on le lui apporte gratuitement par coursier dans la journée. Quand il va au restaurant, il appuie sur un bouton et le serveur se met au garde à vous dans la seconde. Quand il fait ses emplettes aux grand magasin, il est pris en charge par un escadron de voituriers, portiers, vendeurs, conseillers… A Paris, réparer un problème de connexion internet peut prendre jusqu’à un mois à en croire plusieurs de mes amis victimes d’une telle mésaventure. Commander au restaurant est une entreprise périlleuse, tributaire des caprices des serveurs, eux-mêmes fidèles disciples de leurs patrons pour qui “si on n’est pas content, on n’a qu’à aller voir ailleurs.”

 

La misère

A Paris, la misère est visible. Les SDF squattent les bouches d’aération des rues calmes ou les quais des stations de métro. Ils sympathisent avec les gens du quartier, dont certains prévoient un budget quotidien à donner à “leurs SDF” et s’excusent de ne pouvoir répondre aux autres sollicitations. Aux terraces des cafés, les serveurs sont autant rodés à prendre les commandes qu’à chasser les miséreux trop insistants. A Séoul, la misère n’a pas sa place. Les clochards se cachent de honte car ne pas travailler c’est perdre la face. Tout juste peut-on en apercevoir à une heure tardive aux abords de la gare de Séoul. Tout juste peut-on s’émouvoir du sort de cette grand-mère ridée et accroupie à la sortie de la station de métro, vendant à même le sol quelques légumes, des paquets de chewing gum ou des portions de kimbabs pour cadres pressés.

 

Les femmes

A Séoul, les femmes montrent leurs sacs Vuitton, leurs belles jambes, leurs silhouettes fines et leurs visages refaits et parfaitement maquillés, qui émerveillent le regard de nombre d’expats fraichement débarqués tout comme ils suscitent l’envie des touristes chinoises de passage. A Paris, les femmes exhibent leurs sacs en lin commerce équitable, préfèrent un décolleté osé aux jambes dénudées et offrent une palette de styles variés, d’où se dégagent une originalité assumée, une forme de charme subtil, et l’assurance commune d’être les ambassadrices de l’élégance parisienne.

 

Les couples


A Séoul, la vie de couple semble s’arrêter avec la quarantaine. Au delà, on devient mères au foyer pour les unes et employés de bureau pour les autres. Sachant par ailleurs que jusqu’à l’université il n’est pas question d’avoir de petit(e) ami(e) car il ou elle nuirait aux études, on comprend vite pourquoi dans les rues, les seuls couples visibles ont tous entre la vingtaine et la trentaine. Les plus farouches (ou bourrés) d’entre-eux risqueront un baiser sur la bouche furtif la nuit dans le quartier étudiant de Hongdae ; le reste de la vie sentimentale est cachée derrière un voile de pudeur et inhibé par une grosse dose de fatigue et de stress. Est-ce pour cette raison que l’hôtesse de Korean Air annonce systématiquement l’atterrissage à Paris par un “Bienvenue à Paris, la ville du romantisme”? Car il est vrai qu’après un séjour prolongé à Séoul, voir ces couples de tous âges faire preuve de tendresse à Paris a quelque chose de rassurant.

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Bain de soleil

Voilà un exemple de la manière dont les médias coréens représentent la France.

Sous le titre “Des Français prennent un bain de soleil”, le bref article explique que des Parisiens profitent du temps exceptionnellement chaud à Paris en prenant un bain de soleil aux Tuileries. Brève assez factuelle donc mais véhiculant bon nombre de clichés que les Coréens ont sur les Français, et suscitant chez eux un sentiment mêlé d’incompréhension et de fascination à notre égard.

Incompréhension inévitable pour un peuple dont les critères de beauté très standardisés imposent une peau blanche, surtout pour les femmes chez qui cet impératif pousse à sortir une ombrelle au moindre rayon de soleil ou à se baigner à la plage habillées. Incompréhension totale également devant cette exhibition de chair en public. A l’exception des jeunes femmes dont la mode impose des jupes ou shorts ultra-courts sans que cela ne choque personne (mystère de la mode), exhiber notamment la partie haute du corps est perçu comme très osé, vulgaire même, surtout chez les personnes de l’âge de nos Parisiens au premier plan de cette photo.

Et puis il y a cette incompréhension du fait de l’actualité européenne: n’est ce pas la crise là bas? Une crise grave dans un continent surendetté et rempli de chômeurs? Mais comment ces gens trouvent-ils le temps de profiter du soleil? Remarque que font également de nombreux Coréens revenant d’un voyage à Paris: “Je ne comprends pas, tous les Français disent que c’est la crise, mais ils sont tous en terrasse à profiter du beau temps entre amis.”

Je tente de leur expliquer que oui, c’est la crise mais que ça n’empêche pas les gens de continuer à “profiter”, de prendre du temps pour soi et les siens, parce que c’est important pour notre équilibre. “Les Français ont cette insouciance, cette aisance d’esprit, que nous Coréens n’avons pas encore”, me fait-on remarquer, sur le ton de la fascination et de l’envie. Car dans ce pays sorti du sous-développement il n’y a pas si longtemps et où la course au confort matériel prime, il est décidément difficile d’assumer l’idée que peut-être le bonheur est ailleurs.

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