Oppa

Dans le désormais célèbre refrain “Oppa’n Gangnam style !” du hit planétaire de Psy, attardons-nous sur le terme “Oppa”.

La version simple d’abord: “Oppa” signifie grand-frère. Le grand-frère biologique bien entendu, mais également l’ami qu’on appellera grand-frère. Car nous sommes en Corée, une société où l’inférieur doit toujours appeler le supérieur par un titre honorifique : Président Kim, Docteur Park, Professeur Lee. Dès lors que l’âge est un élément déterminant des rapports hiérarchiques, il serait très mal venu d’appeler Mincheol, l’ami âgé d’un an de plus que soi, par autre chose que “Mincheol oppa”, soit “Grand-frère Mincheol”.

Mais si vous êtes de sexe masculin, gardez-vous d’appeler votre ami “Mincheol oppa”, car oppa désigne le grand-frère d’une personne de sexe féminin et dans son acception plus large, son ami ou son petit ami plus âgé. C’est ce dernier cas qui s’applique pour le “Oppa’n Gangnam style” qui signifie “ton mec est (=je suis) Gangnam style”.

Grand-frère biologique, ami proche, petit-ami… Autant de relations, toutes intimes mais toutes de nature différente que couvrent les nombreuses nuances de “Oppa”: si un beau jour, la belle coréenne à qui vous faites les yeux doux vous appelle “Oppa”, c’est que vos efforts ont porté leurs fruits et qu’elle se considère déjà dans une certaine mesure comme votre petite amie. Si par contre, lassée qu’elle reste indifférente à vos avances, vous décidez de lui déclarer votre flamme, ce à quoi elle vous rétorque: “mais tu sais, j’ai toujours pensé que nous étions comme “Oppa – Dongsaeng”, c’est qu’elle déclare vous considérer comme un grand-frère biologique (Dongsaeng” signifiant petit-frère ou petite-soeur) , bref c’est l’excuse classique dont l’équivalent français serait “mais je t’ai toujours considéré un peu comme un frère”, pour refuser poliment vos avances.

La subtilité d’utilisation de “oppa”, n’est qu’un aperçu de la complexité des règles de formalisme à respecter lorsqu’on s’adresse à autrui dans la société coréenne, y compris au sein de la famille. Avant d’interpeller un oncle, une cousine ou une belle-tante, alors qu’il suffirait au Français de se rappeler les prénoms de chacun, le Coréen devra trouver le particule adéquat déterminé en fonction des rapports hiérarchiques qu’instaurent les différences d’âge et de sexe: chaque oncle ou tante aura ainsi une dénomination différente selon son âge relatif et selon qu’il ou elle sera du côté du père ou de la mère. Ces rapports hiérarchiques peuvent être très subtils: imaginons que votre épouse ait un grand-frère plus jeune que vous. Vous serez quand même tenu de l’appeler “grand-frère” parce que c’est son âge relatif à celui de votre épouse qui prévaut.

Ces règles sont parfois si complexes que même les Coréens s’y perdent. Supposons que ce même beau-frère soit marié. Demandez à un Coréen comment appeler cette belle-soeur par alliance: il se grattera la tête, risquera une réponse hésitante, pour finalement avouer que lui-même n’est pas très sûr de la réponse.

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Difficultés de langage

La langue coréenne est sûrement avec le Japonais l’une des plus complexes d’un point de vue du formalisme, elle même reflet de la complexité des relations en société, voire même au sein d’une famille. L’exemple qui revient le plus souvent pour illustrer cette difficulté est l’utilisation de plusieurs niveaux de langage en fonction de son interlocuteur. Heureusement un impair en la matière vous sera aisément pardonné, surtout si votre faciès est occidental.

Plus délicat est le choix du titre pour s’adresser à une personne car dans ce domaine, tout impair peut être très vite pris personnellement. Surtout qu’il faut presque toujours appeler quelqu’un par un titre car dans la plupart des cas, appeler une personne qui s’appellerait Kim Mincheol comme on le ferait en France: “Monsieur Kim” pour être poli, ou “Mincheol” pour créer une proximité, n’est pas acceptable.

Evacuons tout d’abord le contexte professionnel en vous renvoyant à l’un de mes posts précédents qui aborde ce sujet et attardons-nous aux situations amicales. Quoi de plus simple et informel qu’une relation entre de bons amis? Mais ce Kim Mincheol a beau être un ami proche, vous ne l’appellerez “Mincheol” que si vous avez moins d’un an d’écart ou que vous êtes le plus âgé. Dans tous les autres cas, il faudra rajouter un “grand-frère” pour ne pas paraître vouloir le rabaisser. Et avant de l’interpeller d’un “grand-frère Mincheol”, il vous faudra savoir que la traduction de “grand-frère” en Coréen n’est pas directe, il est fonction du sexe de la personne qui parle: si cette personne est un homme, alors elle emploiera le terme “hyung”; si c’est une femme, ça sera “oppa”. Bien sûr la même règle s’applique s’il s’agit d’une “grande soeur”.

Voilà donc pour le cas le plus simple. Plus le contexte est formel, plus les titres à employer en fonction de la personne sont compliqués. Cas extrême, la famille: là où un simple “oncle” suffirait pour un Français, le Coréen doit d’abord se poser une série de questions avant de déterminer quel terme employer. Est-ce un oncle du côté du père ou de la mère? Si c’est un frère du père, est-ce un grand-frère ou un petit frère? Est-ce un oncle par alliance? Car c’est en fonction de chacune de ces données que le terme adéquat sera choisi pour appeler cet oncle. Bien entendu, le procédé est le même pour la tante.

Ce dernier exemple est l’un des plus simples, car des plus courants et les Coréens n’ont bien entendu aucune hésitation avant de trouver le terme adéquat pour appeler leurs oncles ou tantes. Mais pour certains cas les moins usuels, il arrive que même les Coréens se retrouvent quelque peu embêtés. Ainsi cet ami à qui je demandais comment il devait appeler la femme de son beau-frère. Il a hésité quelques secondes, tenté quelques réponses pour finalement m’avouer qu’il n’était pas sûr du terme juste. Mais comment fait-il pour appeler la femme de son beau-frère alors? Lui demandai-je. “Je ne l’appelle pas. Si je dois lui adresser la parole, j’attends le moment propice où nos regards se croisent pour lui parler.”

 

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