Copier-coller

Toute l’histoire du développement économique de la Corée résumée en un cliché: au premier plan une grosse berline qui ressemble à s’y méprendre à un modèle allemand mais qui en fait est “Made in Korea” du fait d’un accord entre les constructeurs Ssangyong, et Mercedes. Longtemps, le consommateur coréen n’a eu accès qu’à cette pâle copie de la berline allemande, l’originale étant réservée à une infime élite tant ses tarifs étaient prohibitifs.

Qu’importe: on racontait au conducteur coréen que la copie était (presque) aussi bien que l’originale, avec l’avantage d’être moins chère et surtout d’être fabriquée en Corée. Acheter une Ssangyong, c’était donc faire preuve de patriotisme et tant pis si cette berline coréenne était moins jolie ou fiable que l’Allemande: encore faudrait-il en voir sur les routes pour pouvoir s’en rendre compte.

Depuis le début du millénaire, les choses ont changé: les berlines de luxe allemandes ou japonaises sont légions dans les rues de Séoul depuis que le pays a progressivement ouvert ses frontières aux constructeurs étrangers. Mais entre temps les constructeurs coréens ont pu grandir grâce à leur chasse gardée que représentait le marché coréen. C’est parce que l’industrie automobile coréenne fut protégée de la concurrence internationale qu’elle put se développer rapidement et aujourd’hui, proposer des berlines qui n’ont plus rien à envier à celles de leurs concurrents européens, japonais ou américains.

Copier ce qui marche, tester sur son marché pour s’améliorer, puis égaler, voire dépasser l’original. Est-ce parce que le succès économique de la Corée commence par la copie que personne ne s’étonne ici que n’importe quelle devanture reprenne librement n’importe quel logo? Ainsi ce PC-Room (Internet Café) en arrière plan de la photo, baptisé Apple.

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Libre-échange et automobiles

Il a parfois bon dos le libre-échange. D’après un article de la Tribune, les conséquences de l’accord de libre-échange entré en vigueur en juillet 2011 entre l’Union Européenne et la Corée du Sud seraient au grand détriment du premier en ce qui concerne l’industrie automobile. Chiffres à l’appuis, l’article explique que depuis l’application de cet accord, les importations de véhicules européens vers la Corée chuteraient tandis qu’à l’inverse, l’importation de véhicules coréens vers l’Union Européenne exploseraient.

Et les représentants des constructeurs européens (les seuls à donner leur point de vue dans cet article) de s’écrier en coeur: “protectionnisme caché!” En énumérant les différentes barrières non tarifaires à l’entrée de la Corée que doivent subirent les marques étrangères. Je suis moi-même importateur de vin en Corée et je serais le premier à reconnaître un protectionnisme caché dans le marché automobile coréen. Revoyons pour cela les arguments avancés par les constructeurs européens.

Normes anti-pollution et de sécurité distinctes

Scandale! Les Coréens auraient leurs propres normes anti-pollution et de sécurité, alors qu’ils pourraient tout bonnement accepter sans discussion celles de l’Union Européenne. Tout ça rien que pour nous embêter nous les constructeurs européens! Mais ces mêmes constructeurs européens se plaignent-ils lorsqu’ils doivent adapter leurs véhicules aux normes américaines? Et les Anglais et leurs volants à droite qui entraînent des coûts supplémentaires: est-ce du protectionnisme caché également? Est-ce inconcevable que les Coréens puissent définir des normes anti-pollution et de sécurité distinctes de celle de l’Union Européenne tout simplement parce qu’ils pensent que les leurs sont plus adaptées à leur pays?

“Les flottes gouvernementales ou para-gouvernementales, qui représentent 50% du marché, n’achètent jamais de voitures importées”

C’est la sottise sortie par un Vice-Président de Ford Europe. Sottise parce qu’il faudrait faire appel au comptable de Madoff pour arriver à démontrer que les flottes gouvernementales et para-gouvernementales représentent 50% du marché coréén; sottise également parce qu’aux dernières nouvelles lorsqu’on travaille pour le gouvernement d’un pays doté d’une industrie automobile, il est tout à fait logique de rouler dans une berline nationale. A-t-on vu un policier allemand rouler en Peugeot? A-t-on vu un Ministre français descendre d’une Skoda?

“En Corée, quand vous achetez un véhicule de marque étrangère, vous subissez aussitôt un contrôle fiscal… “

Mais comment peut-on sortir une énormité pareille dans un site d’actualité économique de cette envergure? Sûrement en supposant que les lecteurs de ce site n’iront jamais vérifier ce qu’on affirme au sujet de ce pays lointain. J’ai dans mon entourage au moins trois personnes qui roulent Japonais ou Allemand sans avoir eu le moindre souci avec les autorités fiscales, comme c’est le cas de la très grande majorité des nombreux propriétaires de véhicules de marque étrangère qui stationnent dans le parking de mon immeuble.

Que les représentants de constructeurs automobiles européens mettent en avant leurs points de vue partisans pour défendre leurs intérêts est de bonne guerre. Mais qu’un site d’actualité prennent les arguments de ces professionnels du secteur pour argent comptant est plus problématique. Il suffit d’avoir été régulièrement en Corée durant ces 20 dernières années pour s’apercevoir que le marché automobile coréen s’est considérablement ouvert aux marques étrangères. D’après l’Association des importateurs et distributeurs d’automobiles, les ventes de voitures importées en Corée ne se sont d’ailleurs jamais aussi bien portées, battant le record des ventes mensuelles en mars 2012.

Certes la Corée protège son marché intérieur grâce à des pratiques parfois contraires à la libre concurrence, certes les consommateurs coréens sont sensibles aux arguments de patriotisme économique. Mais si un secteur échappe à l’argument de l'”achetez coréen” c’est bien l’automobile. Car en Corée la voiture est le symbole de la réussite sociale. Il suffit de voir comment le gardien de mon immeuble de bureau ignore royalement ma vieille Hyundai alors qu’il s’incline religieusement à l’arrivée de n’importe quelle berline étrangère de luxe. Ce ne sont pas les constructeurs européens qui souffrent en Corée. Au contraire, les prestigieuses berlines allemandes ou japonaises jouissent d’un énorme succès. Il faut en avoir une à tout prix, même en leasing ou à crédit par une classe moyenne qui, à niveau de vie équivalent en Europe, considérerait qu’elle n’en aurait pas les moyens.

Mais lorsqu’il s’agit d’acheter une voiture plus modeste, pourquoi un Coréen choisirait-il une Peugeot plutôt que sa Kia nationale? Car il n’y a guère que les Français pour croire qu’encore aujourd’hui les voitures françaises ont un style à part et une meilleure tenue de route que leurs concurrentes coréennes. Et avant de râler contre d’éventuelles pratiques déloyales de la Corée, c’est peut-être sur ce problème que devraient se concentrer nombre de constructeurs automobiles européens.

 

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