Joseph, son béret, sa baguette

Les clichés ont la peau dure, notamment celle du Français dans l’imaginaire du Coréen et sûrement de beaucoup d’autres étrangers, fidèlement représenté par “Joseph” dans cette affiche publicitaire pour un médicament antihistaminique antiallergique mondialement connu.

Joseph donc, la cinquantaine, se voit orné d’un béret, tenant un sac de baguettes à la main. On parierait sa fortune que l’allergie de Joseph ne l’empêchera pas d’aller se siffler un ballon de rouge avant de rejoindre bobonne.

Il y a deux enseignements à tirer de cette publicité. L’un, réjouissant, est que de tous les pays qui composent l’Europe, ce soit la France qui fût choisie par les publicitaires coréens pour représenter le vieux continent. L’autre enseignement, moins plaisant, vient de la comparaison entre notre représentant français et ceux des autres pays figurant sur cette affiche. L’Américain (James), la Chinoise (Meïlan) et la Russe (Anna) paraissent outrageusement plus jeunes et dynamiques que notre malheureux Joseph: clairement l’allergie n’est qu’une contrariété passagère dans leurs courses vers un avenir plein de promesses et de réussites, alors que pour Joseph, cette allergie semble une contrariété de plus dans une vie rythmée par la diminution de sa pension de retraite…

 

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Les médias en Corée: recherche impertinence désespérément

 

En France, je n’aurais sûrement jeté qu’un oeil distrait à la polémique créée par le “Casse-toi riche con” de la une de Libération en référence à la demande par Bernard Arnault de la nationalité belge: coup marketing réussi d’un quotidien engagé qui s’attaque à la première fortune de France, tout en sachant qu’il ne risque pas grand chose vu qu’il joue le beau rôle aux yeux de l’opinion. La routine quoi.

Mais vue de Corée cette polémique prend une saveur particulière. Ici un tel scénario est tout simplement impensable. J’imagine un instant l’un des principaux quotidiens coréens moquer de la sorte la première fortune de Corée, Lee Kun-hee, Chairman du Groupe Samsung et fils du fondateur. Il faudrait alors tout de suite éliminer de ce scénario imaginaire le Joongang-Ilbo, l’un des trois premiers quotidiens nationaux vu qu’il est lié par alliance à la famille Samsung. Pour les deux autres quotidiens, il est d’abord impensable qu’un journaliste daigne proposer une telle une, et surtout pas le rédacteur en chef dont le rôle est de faire semblant de s’occuper de l’indépendance éditoriale du journal tout en s’occupant en réalité de ses intérêts économiques, notamment en tenant en respect les ardeurs d’éventuelles de journalistes un peu fougueux.

Mais imaginons que sur un énorme malentendu, avec en prime la défaillance incroyable de la direction commerciale du journal qui souvent fait autorité sur la rédaction pour bloquer les articles susceptibles de froisser leurs annonceurs, une telle une soit publiée. Heureusement les services de relations presse des Chaebols veilleraient et détecteraient aux aurores ce problème. Il suffirait ensuite d’un simple coup de fil pour que ce dérapage soit, d’une manière ou d’une autre, contrôlé.

J’essaie généralement d’être mesuré dans mes critiques de mon pays d’accueil, mais je dois admettre qu’en ce qui concerne les médias, je ne leur trouve aucune circonstance atténuante: ils sont tout simplement affligeants. Summum de cette médiocrité: la télé. Les Talk shows y sont creux et abrutissants (certes, mon jugement est peut-être injuste dans la mesure où je ne comprends pas la moitié des blagues qui y sont échangées), les feuilletons sont creux et abrutissants (j’aimerais varier les adjectifs mais ces deux-là sont vraiment les plus adaptés). Ils servent surtout de support de “product placement” pour marques de voitures et de faire valoir pour acteurs ou actrices dont je n’arrive pas à m’expliquer comment leur jeu peut s’avérer aussi médiocre à la télé mais sublime sur grand écran.

Enfin comment ne pas évoquer les JT, qui consacrent tous en moyenne un tiers de leur temps d’antenne à évoquer le temps qu’il fait: envoyé spécial dépêché dans un parc de Séoul pour confirmer en direct que oui, il fait soleil et que les enfants profitent du beau temps pour patauger dans les fontaines; hélicoptères réquisitionnés pour survoler les plages et constater que par beau temps, les gens vont effectivement en nombre à la plage. Puis vient la rubrique des faits divers: accidents de la circulation, crimes de droit commun qui sont peu nombreux dans les faits mais tellement couverts par les médias que le Coréen moyen est persuadé de vivre dans l’un des pays les plus dangereux au monde alors que la Corée est sûrement l’un des pays industrialisé les plus sûrs au monde.

Pour autant, balayer d’un revers de main l’intégralité des médias coréens serait injuste. Il faut d’abord réaliser les progrès effectués: les générations qui ont connu la dictature racontent que jusqu’au milieu des années 80, les rédactions des principaux quotidiens recevaient tous les jours par fax les directives pour leur une de la part du ministère de l’intérieur. Et si aujourd’hui encore on sent la collusion entre les principaux groupes de médias, les Chaebols, et les conservateurs, Internet a permis un souffle salutaire de liberté d’impertinence et d’innovation. Aujourd’hui si les médias “mainstream” restent conservateurs, les nouveaux médias constituent un contre-poids non négligeable: le concept de journalisme participatif est d’ailleurs né en Corée à la fin des années 90 avec Ohmynews. Depuis, les réseaux sociaux ont pris le relais et permettent aux Coréens de partager podcasts, vidéos, et autres contenus exprimant plus ou moins librement toute la variété des opinions représentées en Corée.

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L’Europe vue de Corée

Expérience riche d’enseignements pour le Français que je suis, d’assister aux perspectives économiques mondiales exposées par un gestionnaire de portefeuille coréen à ses clients particuliers. Son exposé doit rester simple, ne s’adressant pas à des investisseurs professionnels, mais pertinent dans la mesure où il entraîne in-fine des décisions d’investissement qui peuvent être lourdes de conséquence.

Ce qui étonne, c’est qu’on y parlera beaucoup, presque exclusivement d’Europe. Pourtant, la Chine, puissante voisine à deux pas d’ici ne présente-t-elle pas des enjeux qui pourraient influer sur l’économie mondiale et en particulier sur la balance commerciale de la Corée? Quant aux Etats-Unis, alliés historiques et partenaires commerciaux majeurs de la Corée, n’ont-ils pas leur propre lot de problèmes faisant peser leur part d’incertitude sur l’économie mondiale? Mais sur l’écran de projection, ça n’est ni la photo de Hu Jintao, ni celle d’Obama, mais bien celles de Mario Draghi, le Président de la Banque Centrale Européenne, et d’Angela Merkel qui apparaissent, illustrant l’influence majeure dont le Vieux Continent et ses quelques 500 millions de consommateurs jouissent (encore) sur la Planète.

Il faut dire que les problèmes de l’Europe sont sérieux, et rien de tel que le résumé simpliste de notre banquier pour s’en convaincre. Son diagnostic tient en une courte phrase: le sud de l’Europe est endetté. Notez au passage à quel point les différents Etats européens disparaissent au profit de “l’Europe”, cette entité économique avec ces régions riches au nord et pauvres au sud. Face à ce problème d’endettement, deux solutions de bon sens: soit dépenser moins, mais l’Europe du Sud en serait incapable car son système social coûte trop cher et que personne ne serait prêt à le remettre en cause parce que “ça n’est pas dans la culture des Européens du Sud d’être économes”.

Reste donc l’autre solution: gagner plus d’argent, mais l’Europe du sud en est également incapable car le peu d’industrie qu’il lui reste décline comme peau de chagrin. Et le gestionnaire de portefeuille de rajouter que certes les plus riches (l’Allemagne) pourraient prêter aux endettés pour retarder la catastrophe, mais “est-ce que vous mesdames, seriez prêtes à sacrifier votre épargne durement gagnée pour soulager les dettes d’un voisin dépensier et insouciant?”

-“Noooon!!” général de l’audience sur un ton à la fois amusé et inquiet.

Voilà donc réglé le compte de l’Europe lors d’une synthèse certes très vulgarisée, dont je vous épargne certaines tirades de café du commerce notamment sur la fraude fiscale, qui serait le dernier savoir-faire possédé par les Grecs… Discours vexant pour tout Européen, mais après tout est-ce sur la réalité de la crise économique en Europe qu’il faut se vexer ou sur la caricature qui en est faite?

Et la France dans tout ça? Suis-je forcé de me demander. Est-elle perçue comme faisant partie du Sud pauvre et insouciant ou du Nord riche et performant? Lorsque j’interroge le banquier, celui-ci est dithyrambique sur l’industrie française, sa technologie, son leadership dans certains secteurs de pointe. “Mais ce qui est bizarre, c’est que d’un côté vous avez Airbus ou Areva sur lesquels vous devriez vous concentrer, et que de l’autre vous avez PSA, une entreprise sans grand avenir que votre gouvernement s’acharne à défendre avec de mauvais arguments.”

 

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La cuisine française en Corée

Je me souviens de mon premier séjour en Corée du Sud au milieu des années 80: la seule nourriture occidentale la plus largement disponible était le Donkatsu, l’escalope de porc pannée à la japonaise. Pas follement occidental… On pouvait trouver également quelques restaurants de fast food pour lesquels il fallait généralement faire un long trajet pour s’y rendre… Voilà.

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Bien sûr la nourriture coréenne reste reine, mais la gastronomie internationale est représentée à Seoul, comme dans n’importe quelle autre capitale internationale. Une première vague est venue avec l’installation des steak houses ou family dining à l’américaine, comme prolongement plus qualitatif des fastfoods déjà présents. Le goût des Coréens pour la viande et leur fascination (à l’époque) pour tout ce qui est “Made in America” ont convaincu les acteurs locaux de la restauration qu’il existait un marché à fort potentiel si bien qu’aujourd’hui les artères de Seoul regorgent de restaurants américains où l’on mange un bon steak après s’être copieusement servis au salad bar.

Et la gastronomie venue d’Europe dans tout ça? L’Italie se porte très bien, bénéficiant de l’engouement des Coréens pour l’huile d’olive après qu’une série d’articles et reportages vantèrent ses bienfaits sur la santé et profitant également du goût des Coréens pour la pasta qui rappelle les nouilles de la cuisine coréenne. On peut ainsi manger d’excellents spaghetti alle vongole, vu l’abondance de palourdes et autres fruits de mer en Corée.

Pour la cuisine française, les choses sont un peu différentes. Bien sûr celle-ci bénéficie d’un prestige incomparable, comme l’illustre le nombre de Coréens qui partent tous les ans en France pour apprendre l’art culinaire au Cordon Bleu ou Le Nôtre. Mais pour les Coréens, cette cuisine est difficile, chère, inaccessible, et malheureusement médiocre pour la plupart des restaurants français présents à Seoul. Car la plupart des chefs locaux qui se lancent à l’aventure de la gastronomie française en Corée sont généralement confrontés à la difficulté majeure de trouver des ingrédients de qualité. Il leur reste donc pour justifier les prix élevés qu’ils proposent d’accueillir leurs clients dans un lieu qui en jette et d’y associer un service de haute volée.

L’intention est bonne mais au final le client se retrouve avec beaucoup de prétention et quelque chose sans grand intérêt dans leurs assiettes…

 

 

 

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Le nouveau Président français vu de Corée: le choc Hollande sur l’économie mondiale

Les élections présidentielles françaises ne sont pas passées inaperçues en Corée. Et si la majorité des Français serait bien incapable de nommer le Président sud-coréen (Lee Myung-bak), à l’inverse une majorité de Coréens connait au moins Sarkozy de nom, la plupart pouvant même citer l’un des faits marquants de sa présidence: son mariage avec Carla Bruni. A l’heure où son successeur entre à l’Elysée, voici un panorama de la couverture de l’élection présidentielle par la presse coréenne.

Le JoongAng Ilbo, quotidien conservateur, a bien du mal à cacher sa peine de voir “les socialistes pour la première fois au pouvoir depuis 17 ans“, oubliant au passage les 5 ans de gouvernement Jospin (mais il est vrai qu’en Corée, le Premier Ministre n’est qu’un directeur de cabinet du Président).  Le quotidien qui titre “Le choc Hollande sur l’économie mondiale” affirme que “le changement pour Hollande c’est renverser toutes les mesures mises en place par Sarkozy.” Si Hollande a remporté les élections, c’est parce que son discours aurait su séduire “tous ceux qui ont dû se serrer la ceinture suite à la crise” en promettant notamment la création de 60 000 postes dans l’Education Nationale et le retour de la retraite à 60 ans.

Mais le quotidien ajoute que Hollande n’a pas précisé comment il financerait ses mesures. “Tout juste a-t-il parlé d’imposer les très riches à 75% et les hauts revenus à 45% au lieu de 41%.” Le JoongAng Ilbo en est persuadé: “beaucoup craignent la logique des socialistes: augmentation des impôts -> augmentation des dépenses publiques -> remise à flot de l’économie -> croissance économique -> création d’emplois“. Et de conclure en citant un électeur d’un quartier huppé parisien: “Si Hollande passe, je m’exile.”

Le Chosun Ilbo, premier quotidien du pays et également conservateur, n’est pas non plus étouffé par la joie et titre également “Le choc Hollande sur l’économie mondiale”. Il offre un panorama plus complet de l’impact de l’élection de Hollande: une remise en cause des choix du couple Merkel Sarkozy au profit de la croissance et au détriment de la rigueur budgétaire, et le retrait prématuré des troupes françaises d’Afghanistan. Le quotidien rappelle également la situation médiocre dans laquelle Sarkozy laisse la France: “10% de chômeurs, le plus haut niveau depuis 13 ans, 1,6% de croissance économique et l’humiliation d’avoir perdu son triple A.”

Face à cette situation le quotidien rappelle les choix du nouveau Président de “taxer la finance, et supprimer les avantages fiscaux pour les très grandes entreprises.” Une politique contraire à celle de Sarkozy qui prônait “la valorisation du travail et le développement de l’activité par les réductions d’impôt.” En somme pour le quotidien, Hollande  met l’accent sur la lutte contre les inégalités de la société française, plutôt que sur l’efficacité économique, choix qui expose au risque de voir les capitaux fuir la France. le Chosun Ilbo cite en exemple l’entreprise de biotechnologie Eurofins Scientific qui aurait choisi de déménager son siège au Luxembourg, et les “riches Français qui affluent sur le marché immobilier anglais.

Mais il n’est pas sûr qu’Hollande puisse mettre en oeuvre sa politique car pour le quotidien l’écart du second tour est moins élevé que prévu et les élections législatives sont incertaines. Hollande devra donc ménager le centre pour qui la rigueur budgétaire est un enjeu primordial.

Le Donga Ilbo, troisième grand quotidien national et lui aussi conservateur, est sans surprise sur la même ligne que ses deux confrères, affirmant qu’avec la prise de pouvoir des socialistes pour la première fois depuis 17 ans en France (décidément!), conjuguée à l’issue des élections en Grèce, c’est la politique d’austérité qui monte à l’échafaud, “replongeant l’Europe dans la tourmente.” Le quotidien consacre également un article à Valérie Trierweiler, première Première Dame de France non mariée et working mom.

Il faut ouvrir les pages du quotidien de gauche Hankyoreh pour entendre un son de cloche différent. Pour le Hankyoreh, l’élection de Hollande ouvre la voie à une autre sortie de la crise par une politique de la croissance et de la prospérité, car pour le nouveau Président, “l’austérité ne doit pas être une fatalité.” L’Europe est-elle à un tournant? Pas si sûr pour le quotidien, et surtout trop tôt pour le dire car les élections déterminantes pour l’Europe auront lieu en septembre prochain en Allemagne, et l’avenir de l’Europe dépendra du score que réaliseront les sociaux-démocrates allemands et leurs alliés écologistes.

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Design et beauté

Crédit photo cc: Nuyos

Le design est l’objet de toutes les attentions en Corée. Comme souvent, cette attention résulte d’un diagnostic économique: coincée entre la Chine plus compétitive en matière de prix et le Japon supérieur en matière de technologie, le salut de la Corée passe par la création d’un avantage concurrentiel distinctif qui rendrait les produits “made in Korea” attractifs aux consommateurs du monde entier. La différenciation par le design est l’une des réponses du gouvernement. Mais la force de la Corée ne réside pas tant dans la définition de cette priorité que dans sa capacité à la mettre en application. Et comme à la fin des années 90 où tous les acteurs politiques économiques et sociaux du pays s’étaient mis en ordre de bataille pour faire du pays l’un des leaders en matière de technologie numérique, ce sont ces mêmes acteurs qui 10 ans plus tard oeuvrent de concert pour faire de la Corée un leader en matière de design.

La ville de Seoul a ainsi été élue World design capital en 2010, et a détruit son vieux stade de baseball de Dongdaemun pour mettre en chantier la construction du plus grand “Design hub” au monde, le Seoul design plaza, qui ouvrira ses portes en avril 2013. Les Chaebols investissent également massivement dans cette discipline: au sein de la Samsung Art and Design Institute des professeurs mondialement reconnus dans leurs domaines prodiguent leur savoir aux meilleurs étudiants du pays et de l’étranger. Dans le secteur académique, la Hongik University a déjà établi une réputation d’excellence en matière de design, et quelques-uns de ses étudiants remportaient la Ferrari World Design Contest en 2011.

Le résultat de ces efforts commence à se faire sentir. Les portables Samsung ou LG sont appréciés pour leur design, même si on peut parfois leur reprocher une similitude avec certains produits concurrents de Californie. Dans le secteur automobile, les derniers modèles de Hyundai ou Kia commencent à acquérir une identité propre.

KIA K5, lauréate de la Reddot design "Best of the Best" award 2011 (flickr cc: rentacon)

Et pourtant le chemin à parcourir avant de prétendre à un leadership en matière de design est encore loin, selon la patronne d’une agence de design avec qui je m’entretenais récemment. Pour elle aucune comparaison possible encore entre ce qui se fait en Corée et en pays d’Europe par exemple. “Il s’agit du contexte local”, m’explique-t-elle: “prenez un jeune designer à Seoul et demandez lui de dessiner un objet fait de belles courbes, il en sera incapable parce qu’il aura grandi dans un environnement laid et rectiligne, rempli de barres de béton et de gratte-ciel en acier, entouré d’objets dont la fonction première est la création de richesse économique au mépris de la beauté. Comment peut-il rivaliser avec quelqu’un qui aurait vécu dans une ville où tout est beauté? Prenez Paris: le moindre lampadaire est une oeuvre d’art, la ville elle-même regorge de sources d’inspiration pour qui voudrait tracer une belle courbe.”

Elle a sûrement dû forcer le trait, sachant mes origines parisiennes, mais en fin de journée sur le chemin du retour je scrutais cette ville, Séoul, à la recherche de beauté esthétique, en vain.

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Beaujolais Nouveau

Je n’ai rien contre le Beaujolais Nouveau, bien au contraire. En Corée, c’est l’une des rares réussites marketing du vin de France contre les stratégies bien rodées des vins du Nouveau Monde et des wineries chiliennes en particulier. Le Beaujolais Nouveau a réussi là où les autres régions viticoles françaises ont échoué, exception faite des tous meilleurs crus bordelais mais dont les prix dépassent l’entendement. En achetant du Beaujolais Nouveau le consommateur coréen peut enfin s’y prendre comme s’il achetait du Montes Alpha chilien et acheter une marque: un produit identifiable et simple, de qualité (plus ou moins) fiable, à un prix abordable, avec en plus cette sensation de participer à une tradition des vins de primeur, tradition qui existe ailleurs que dans le Beaujolais, mais c’est là toute la réussite marketing du Beaujolais Nouveau: d’avoir su d’identifier à une tradition viticole bien plus large que son appellation; d’avoir pu “préempter le territoire des vins de primeurs” en langage Séguéla.

Toujours est-il qu’ici ce Beaujolais Nouveau se vend en moyenne à 9euros chez votre “convenience store” de quartier. C’est là tout le malheur des amateurs de vin coréen: devoir débourser pour un Beaujolais Nouveau ce que l’amateur français débourserait pour un Morgon de qualité. C’est qu’en plus du coût du transport, les vins sont assujettis à une taxe sur l’alcool (30%), et une taxe sur l’éducation (10%), sans oublier la TVA, les frais liés aux formalités douanières, une éventuelle  mise en quarantaine pour analyse d’échantillon et bien entendu les marges de tous les intermédiaires entre le moment où les bouteilles quittent le domaine du vigneron et arrivent sur les étalages de votre 7Eleven local… Santé!

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Parcours de combattant d’une apprentie sommelière coréenne en France

Cela peut paraître cliché, mais vu de Corée, le vin, avec le secteur du luxe, ou encore les cosmétiques sont les vrais domaines d’excellence de la France. Non seulement les atouts majeurs de son commerce extérieur, mais les vecteurs de son rayonnement, voire de son influence. Et si dans beaucoup de secteurs à haute valeur ajoutée, le leadership américain se pérennise parce que les élites du monde entier viennent se former à Harvard, Stanford ou au MIT, la France a tout intérêt à en faire de même pour conserver son leadership dans ses chasses gardées et attirer les talents du monde entier dans les secteurs où elle dispose d’un avantage concurrentiel majeur.

C’est pourquoi il est plus qu’utile de se pencher sur le témoignage de Mlle Dong-young Kwak qui est venue étudier une discipline dont on peut penser que la France devrait être la Mecque pour tous les étudiants d’ici et d’ailleurs: la sommellerie.

 

La France: pays de l’amour, du romantisme, du pain et du vin

Tout commence il y’a 7 ans, lorsque Dong-young ne voit pas son avenir comme cadre de la filiale coréenne du groupe électronique japonais Sharp. Elle voit d’ailleurs mal son avenir professionnel dans le monde de l’entreprise en général et décide de repartir à zéro pour s’engager dans une discipline dans laquelle elle pourrait s’épanouir en mettant à contribution son goût pour la gastronomie et son caractère sociable. A une époque où peu de gens en Corée connaissent l’existence même du métier de sommelier, Dong-young décide donc de s’y engager, convaincue que son avenir sera fait de millésimes, cépages et autres accords mets-vins.

Dès lors qu’apprendre ce métier en Corée n’est pas envisageable, son regard se tourne naturellement vers l’occident, mais où exactement? En Angleterre terre de quelques-uns des plus illustres critiques de vin ou aux Etats-Unis dont les meilleurs crus surclassèrent les nôtres lors du désormais célèbre jugement de Paris? D’autant que Dong-young ne parle pas le Français à l’époque. L’hésitation ne fut pas très longue, notamment suite aux conseils parentaux: s’il s’agit d’apprendre le vin, c’est en France et nulle par ailleurs qu’il faut aller. Après quelques mois d’initiation au Français à l’Alliance Française de Séoul, Dong-young débarque en France en 2007, ce pays totalement étranger, qui à l’époque évoque chez elle “l’amour, le romantisme, le vin et le pain”. Elle commence par apprendre le Français au Collège International de Cannes.

 

Stage de langue et Mention Complémentaire de Sommellerie: jusqu’ici tout va bien

Jusqu’ici tout va bien: l’intégration de Dong-young en France se passe sans problème majeur, notamment grâce à l’encadrement du Collège International de Cannes, bien rodé dans l’accompagnement des premiers pas d’étudiants étrangers en France. Bien sûr, il y a les démarches administratives afin d’obtenir le permis de séjour étudiant d’un an, mais celui-ci est obtenu sans encombre à la grande surprise de Dong-young qui avait entendu les pires rumeurs sur la façon dont les fonctionnaires traitaient les demandeurs de permis de séjour. Mais dans son cas, si ce n’est le fait de devoir se rendre à Nice à 7h du matin et perdre 6 heures dans les couloirs de la préfecture, tout se passe sans problème particulier.

C’est huit mois plus tard, que les choses sérieuses commencent pour Dong-young qui déménage à Bordeaux pour suivre les cours du CAFA, centre de formation privé qui prépare à l’examen d’obtention de la Mention complémentaire sommellerie. Et là encore, tout se passe idéalement bien: Dong-young passe une année de formation qui combine une semaine de cours et trois semaines de temps libre qu’elle décide d’investir en stages chez un vigneron et un négociant Bordelais qui l’accueillent chaleureusement. Son permis de séjour ne lui permet pas de travailler contre rémunération mais qu’importe, elle est en France pour étudier et ses parents l’aident à financer les deux années qu’elle projetaient de consacrer à ses études de sommellerie.

A Bordeaux également, ses contacts avec l’administration dans le cadre du renouvellement de son permis de séjour se passent bien. Elle endure bien sûr de longues attentes, mais les contacts avec les fonctionnaires sont toujours courtois, voire amicaux et au bout de deux semaines d’attente, le renouvellement de son permis est accordé.

L’expérience de Dong-young en France aurait pu s’arrêter là. Au bout d’un an et huit mois, titulaire de la mention complémentaire sommellerie, elle aurait pu rentrer en Corée et faire partie des quelques Coréens titulaires de ce précieux sésame et promis à un bel avenir professionnel. Sauf que Dong-young reste sur sa faim: sa formation lui a certes permis d’acquérir les bases du vin, mais elle a l’impression d’avoir suivi une formation allégée pour étrangers. Un peu comme si elle avait visité Paris en deux jours dans un car de touristes étrangers. Cette mise en bouche lui a surtout laissé entrevoir l’ampleur des connaissances qu’il lui reste à explorer pour réellement prétendre à devenir l’un des tous meilleurs sommeliers. Elle demande donc au directeur du CAFA de lui conseiller un établissement pour approfondir sa formation.

 

“Vous ne comprenez pas le Français?… English?…”

C’est ainsi qu’après Bordeaux, Dong-young déménage à Montpellier afin de suivre une formation de deux ans à Béziers et décrocher le Brevet Professionnel de sommellerie. En s’engageant dans cette nouvelle formation, Dong-young change de division. Il s’agit d’un programme beaucoup plus exigeant et ambitieux, surtout pour une personne ne maîtrisant pas parfaitement la langue française. Et d’ailleurs, le contexte est beaucoup plus franco-français: elle est la seule étrangère parmi les étudiants.

Cette nouvelle aventure commence par le désormais rituel du renouvellement de son permis de séjour, pour lequel elle ne se fait plus trop de souci, vu les deux précédents sans encombre à Nice et à Bordeaux. Elle est maintenant rodée à la constitution des pièces du dossier et surtout, elle est inscrite comme étudiante dans un établissement public et devrait donc obtenir sans problème le renouvellement de son permis de séjour étudiant. Mais est-ce le changement de région? Un changement de disposition de l’administration d’une année sur l’autre? Ou tout simplement la malchance? Cette fois-ci, les choses se passent très mal.

Lors de sa première visite, le fonctionnaire qui reçoit Dong-young au bout de trois heures d’attente refuse son dossier au prétexte que les pièces justificatives ne sont pas rangées dans le même ordre que celui qui figure dans le formulaire de renseignement. Il lui demande de revenir une fois qu’elle aura remis ses pièces dans le bon ordre, sauf qu’elle n’a plus le temps de refaire la queue étant donné les horaires de fermeture de la préfecture, et doit repasser une autre fois. Dong-young repasse donc avec un dossier rangé dans l’ordre exact demandé, mais cette fois un autre problème se pose: l’établissement dans lequel elle est inscrite ne serait pas dans la liste de ceux reconnus par la préfecture. Son permis de séjour ne peut donc être renouvelé. Dong-young est sidérée par ce prétexte ahurissant: elle n’a eu aucun mal à obtenir un permis de séjour pour suivre une formation privée à Bordeaux, mais on ne lui reconnait pas le statut d’étudiante alors qu’elle est inscrite dans un établissement public?

“Si vous voulez vraiment le permis, vous n’avez qu’à vous inscrire à la fac” lui dit-on. “Mais je ne suis pas venu en France pour apprendre à obtenir le permis de séjour, je suis là pour apprendre le métier de sommelier!” argumente-t-elle. Mais Dong-young se trouve face à un fonctionnaire qui ne veut rien savoir et cherche à se débarrasser au plus vite de son cas, sans toutefois oublier de se montrer désagréable comme il faut:”Vous ne comprenez pas ce que je dis? Vous voulez qu’on vous appelle un interprète Anglais peut-être?…  English?…” lui lance-t-il d’un ton moqueur.

Dong-young repart donc bredouille une deuxième fois et cherche à obtenir le soutien de son école, dont la direction se montre particulièrement peu concernée mais accepte finalement d’écrire une lettre d’attestation, avec laquelle elle retourne une troisième fois à la préfecture. C’est encore un échec pour les mêmes motifs, malgré la lettre d’attestation. Face à l’inflexibilité de la Préfecture et la passivité de son établissement, Dong-young ne se décourage pas et revient à la charge une quatrième fois avec toute une série de documents détaillant son cursus pour appuyer son dossier. La Préfecture finit par accepter son dossier en précisant bien qu’ils ne garantissent aucunement l’obtention du renouvellement et qu’il faudra qu’elle quitte le territoire dans les trois mois suivant un probable refus.

Au bout de quatre mois, le verdict tombe, le permis de Dong-young est renouvelé. On lui accorde le droit de rester un an de plus en France; un an où elle contribuera à la croissance économique française en consommant, en payant un loyer, et en travaillant sans rémunération sous le régime des conventions de stages; un an où elle contribuera à financer l’enseignement supérieur français; un an où elle apprendra à promouvoir l’un des produits phares de notre commerce extérieur pour participer à son rayonnement en Asie. A ce tarif là, il était sûrement nécessaire d’essayer de la dissuader.

 

Stagiaire et étrangère: la double pleine

Dong-young peut enfin laisser derrière elle les problème administratifs et se consacrer à ses études. Son cursus est basé sur le même rythme qu’à Bordeaux: une semaine de cours suivie de trois semaines de stage obligatoire. Stage qu’elle décide d’effectuer dans un restaurant bar à vins de Montpellier, réputé pour son choix de vins et tenus par un couple, dont le professeur de Dong-young est ami.

Dong-young est très motivée à l’idée de travailler dans ce bar à vin, où elle pourra apprendre son métier en le pratiquant au contact de vrais clients. Elle entame donc son stage en essayant de montrer sa motivation et sa bonne volonté et ne compte pas ses heures. Théoriquement soumise aux 35heures hebdomadaires légales, Dong-young en abat 60h à l’aise. Elle commence généralement son service à 10h30 du matin jusqu’à 14h pour le service du midi, puis déjeune sur place et ne rentre pas chez elle pour profiter de deux heures de repos qu’elle pourrait s’accorder pour continuer à donner un coup de main au couple jusqu’au service du soir qui commence vers 18h pour se terminer vers une ou deux heures du matin. Elle travaille tous les jours de la semaine, y compris les samedis, et les dimanches de match de foot.

C’est à se demander comment faisait ce couple avant Dong-young. “Ils avaient un salarié”, m’explique Dong-young. Et maintenant ils ont une stagiaire qui ne leur coûte rien et qui travaille sans compter les heures. Mais Dong-young ne se plaint pas. Elle est là pour apprendre et acquérir un maximum d’expérience. Sauf que son travail consiste au nettoyage de la salle et à la mise en place avant le service, puis à essuyer les verres de vin pendant le service. Au début, elle pense que son travail va évoluer et qu’elle pourra progressivement exercer son métier de sommelier. Titre qu’elle peut officiellement revendiquer vu qu’elle est titulaire de la mention complémentaire sommellerie.

Mais les semaines passent et rien ne change: à part quelques échanges de commentaires sur tel ou tel vin avec le mari du couple, le travail de Dong-young nécessite un maniement intense de balai et de torchon, mais pas de tire-bouchon. De retour en cours, elle fait part de sa situation à son professeur mais le message ne passe pas. Celui-ci interprète sa démarche comme celle d’une personne douillette qui se plaindrait de la rudesse normale du travail de la restauration.

Un jour un client habitué du bar à vin demande à Dong-young pourquoi si elle est venue pour apprendre le métier de sommelier, elle passe son temps à essuyer les verres. Et puisque les patrons sont affairés ailleurs, il lui demande de lui servir un verre de vin qui irait avec son andouillette. Dong-young hésite, mais après tout, elle est sommelière, et puis ce client veut un vin rouge au verre, ce qui limite le choix à trois sur le menu. Elle lui conseille donc le plus léger des trois rouges au verre, qui en plus d’être bon, est le moins cher. La patronne arrive sur les lieux du “crime” au moment où le client s’apprête à goûter le vin recommandé par Dong-young. Visiblement agacée, elle demande à Dong-young ce qu’elle a fait, puis reprend le verre au client et le déverse dans l’évier en prétextant que ce vin, qui se trouve dans la liste des vins de son établissement, n’est pas bon, puis lui en sert un autre. Humiliation gratuite? Jalousie de la part d’une personne qui visiblement s’y connait moins en vin? Dong-young encaisse le coup en silence, sort faire un tour dehors pour se changer les idées et reprend son service sans chercher d’explications.

Un autre soir, trois camarades de classe de Dong-young en stage chez un autre commerçant non loin de là lui rendent visite peu avant la fermeture vers 1 heure du matin. Il arrivait que Dong-young passe leur rendre visite à leur travail avant son propre service pour prendre un café, qui lui était amicalement offert. Dong-young voudrait leur rendre la politesse mais elle sent bien qu’elle n’est pas en position de leur offrir leurs verres de Pastis. Si bien qu’elle décide de les offrir de sa poche et sort des billets de son portefeuille pour les mettre dans la caisse. C’est au moment où elle referme le tiroir caisse qu’elle tombe sous le regard de la patronne qui a décidément le raccourci et les préjugés faciles. Persuadée que Dong-young vient de se servir dans la caisse, elle la fixe, écarlate et lui assène un “va-t-en!” sans chercher à comprendre plus loin.

Ainsi se termine ce “stage”: sur l’épuisement et la crise de nerf pour Dong-young, qui pense avoir fait son travail de son mieux. Sur un couple patron de bar à vins qui aura exploité sans frais une “stagiaire” pour l’accuser de vol au premier malentendu, puis se plaindre auprès du professeur de Dong-young qu’elle ait quitté son poste sans prévenir. Professeur qui finira par prendre fait et cause pour Dong-young et qui l’autorisera à mettre fin à ce stage pour l’orienter vers d’autres horizons.

Nouveaux horizons qui ne sont pas forcément plus propices. Dans la cave à vin où elle commence son nouveau stage, Dong-young est certes plus dans le vif du sujet, mais bénéficie là encore d’un traitement spécial. A l’approche des fêtes de fin d’années et d’une augmentation de l’activité, son patron lui annonce que sa pause du midi est écourtée de deux heures à une heure. Dong-young l’accepte volontier mais elle se rend compte que les trois autres salariés du caviste disposent toujours de leurs deux heures de pause. Forcément, entre payer les heures supplémentaires des salariés et exploiter un stagiaire à l’oeil, le choix est vite fait pour le patron.

Celui-ci pense sûrement être tombé sur une cible facile qui ne se plaint même pas, sûrement parce qu’elle ne comprend rien et qu’elle ne réalise pas. Il continue donc de la traiter dans le même esprit: lorsqu’elle lui achète du vin pour sa consommation personnelle, le patron lui fait croire qu’elle a droit à des tarifs préférentiels, mais Dong-young réalise qu’elle paie presque toujours plein pot, et parfois plus cher que les clients. De toutes ces injustices, Dong-young ne se plaindra pas ouvertement, à part de temps en temps à son professeur. Peut-être à cause de la barrière de la langue, aussi parce qu’en Corée il est mal vu de se plaindre: garder le silence ne signifie pas être dupe. On accepte ce qu’on considère comme une injustice ou l’on s’en va.

Le stage chez ce caviste se terminera aussi très mal, surtout d’un point de vue physique: entre une tendinite aux deux poignets pour avoir porté trop de caisses de vin, et le surmenage des fêtes de fin d’années qui nécessitera un rapatriement pour une hospitalisation en Corée, d’où Dong-young hésitera à revenir.

Elle revient finalement, avec la ferme intention de ne pas réduire à néant tous les efforts accomplis jusque là. Avec également un changement d’attitude: oui elle est en France pour apprendre et prête à faire beaucoup de sacrifices, mais elle revient avec la ferme détermination de ne plus se laisser marcher sur les pieds. Elle demande donc une rémunération, même modeste lors de ses prochains stages. Surtout, elle n’hésite plus à s’exprimer, “râler” comme un bon Français. Un jour qu’une collègue lors d’un stage en restauration, lui demande pour la énième fois d’effectuer une besogne ménagère pour le plaisir de lui donner des ordres, Dong-young lui fait comprendre sèchement qu’elle n’en fera rien et lui explique d’un ton ferme qu’elle ferait mieux de changer de comportement avec elle.

Et ça marche! A force de coups de gueule et de réclamations diverses, Dong-young se fait progressivement respecter pour mieux s’intégrer dans les différents stages qu’elle effectue et finalement, obtenir son brevet professionnel de sommellerie.

Au final, il n’y a pas que du mauvais à retenir de l’expérience de Dong-young. Son stage de langue et sa mention complémentaire sommellerie furent obtenus sans encombre. Mais sortis de ces parcours bien balisés les expériences de Dong-young sont révélatrices de la perception qu’ont l’administration ainsi que les employeurs des étrangers: immigrant illégal en devenir, main d’oeuvre corvéable à merci mais piquant dans la caisse dès qu’on a le dos tourné… Dommage, surtout pour un secteur dont l’avenir dépend de l’étranger.

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Le meilleur des mondes

 

En Corée, toute avancée technologique est vécue d’abord comme un progrès pour la société et accueillie favorablement, quand ça n’est pas dans l’enthousiasme général.

Ainsi la multiplication des caméras de surveillance dans les espaces publics est avant tout perçue comme une formidable avancée sociale. Car être filmé partout et tout le temps permet de rendre le trajet des enfants jusqu’à l’école plus sûr. Si bien que pendant que certaines capitales européennes s’en cachent, la ville de Seoul fait au contraire la promotion de ses caméras en mettant à disposition un centre d’appel dédié au renseignement de ces trajets les mieux surveillés.

Vivre dans une ville filmée partout et en permanence permet également à l’auteur de ces lignes de bénéficier d’un service de navigation GPS couplé à une base de données de l’état des lieux de la circulation en temps réel, grâce aux milliers d’yeux qui surveillent en permanence les artères de Seoul. Quel que soit le trajet, ce service m’indique donc le trajet le plus court en intégrant l’état du trafic en temps réel et une estimation de mon heure d’arrivée à la minute près.

Voilà en deux exemples l’idée que les Coréens se font d’un monde meilleur : il s’agirait pour eux d’un monde plus simple, efficace et rapide ; un monde plus confortable et sûr, où chacun serait libre d’avoir accès à tout biens et services n’importe où, tout le temps. Mais pour que ce système marche, il faut en retour que chacun puisse se rendre disponible et accessible ; que toute société de prestation de services puisse vous identifier à partir de votre numéro de sécurité sociale, ou que votre banque puisse utiliser votre numéro de téléphone portable pour tout  à la fois vous identifier, vous informer, vous alerter et vous solliciter ; que vous acceptiez d’afficher ce même numéro de portable sur le pare-brise de votre véhicule en permanence pour pouvoir vous garer en double file n’importe où et être appelé n’importe quand par le propriétaire du véhicule que vous bloquez.

Bref, une société où vous votre espace privé en serait réduit à sa plus petite expression, en échange de quoi vous pourriez acheter un écran plat dernier cri en un clic de souris et être livré dans l’heure qui suit. Une société plus simple, mais au prix d’une réduction des libertés individuelles argumentai-je lors d’une discussion avec un journaliste coréen longtemps correspondant à Paris qui fut étonné de ma remarque:

« A Paris, quand je tombais malade, je devais appeler le cabinet de mon docteur pour tomber sur le secrétariat, lorsque ça n’était pas le répondeur, qui me donnait rendez-vous pour une consultation trois jours plus tard. J’étais malade, mais je ne pouvais pas me soigner tout de suite : vous appelez ça un monde plus libre vous ? En Corée, j’ai le portable de mon médecin que j’appelle à toute heure et qui s’occupe de moi tout de suite. »

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Bain de soleil

Voilà un exemple de la manière dont les médias coréens représentent la France.

Sous le titre “Des Français prennent un bain de soleil”, le bref article explique que des Parisiens profitent du temps exceptionnellement chaud à Paris en prenant un bain de soleil aux Tuileries. Brève assez factuelle donc mais véhiculant bon nombre de clichés que les Coréens ont sur les Français, et suscitant chez eux un sentiment mêlé d’incompréhension et de fascination à notre égard.

Incompréhension inévitable pour un peuple dont les critères de beauté très standardisés imposent une peau blanche, surtout pour les femmes chez qui cet impératif pousse à sortir une ombrelle au moindre rayon de soleil ou à se baigner à la plage habillées. Incompréhension totale également devant cette exhibition de chair en public. A l’exception des jeunes femmes dont la mode impose des jupes ou shorts ultra-courts sans que cela ne choque personne (mystère de la mode), exhiber notamment la partie haute du corps est perçu comme très osé, vulgaire même, surtout chez les personnes de l’âge de nos Parisiens au premier plan de cette photo.

Et puis il y a cette incompréhension du fait de l’actualité européenne: n’est ce pas la crise là bas? Une crise grave dans un continent surendetté et rempli de chômeurs? Mais comment ces gens trouvent-ils le temps de profiter du soleil? Remarque que font également de nombreux Coréens revenant d’un voyage à Paris: “Je ne comprends pas, tous les Français disent que c’est la crise, mais ils sont tous en terrasse à profiter du beau temps entre amis.”

Je tente de leur expliquer que oui, c’est la crise mais que ça n’empêche pas les gens de continuer à “profiter”, de prendre du temps pour soi et les siens, parce que c’est important pour notre équilibre. “Les Français ont cette insouciance, cette aisance d’esprit, que nous Coréens n’avons pas encore”, me fait-on remarquer, sur le ton de la fascination et de l’envie. Car dans ce pays sorti du sous-développement il n’y a pas si longtemps et où la course au confort matériel prime, il est décidément difficile d’assumer l’idée que peut-être le bonheur est ailleurs.

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