Dialogues des Carmélites version franco-coréenne

Je dois avouer que lorsqu’on m’a proposé d’assister à une représentation des Dialogues des Carmélites à Séoul, interprétés pour la plupart par des Coréens, j’ai été un peu effrayé.  Par mon appréhension de l’opéra d’abord, cet art qui s’apprécie d’autant plus qu’on en prend le temps, ce qui n’a pas été mon cas jusqu’ici. Egalement par ma méconnaissance de cet opéra en particulier qui n’a pas la chance de faire partie des trop rares opéras que j’ai appris à découvrir et apprécier au fil des années. Bref, c’est un peu perplexe que je dégageai un après-midi pour me rendre au Seoul Arts Center.

La musique classique se porte très bien en Corée, où elle n’est pas victime de l’image quelque peu poussiéreuse dont elle souffre parfois en France. Bien au contraire: savoir apprécier la musique classique est une marque d’élitisme, de bonne éducation, et d’ouverture à l’Occident, donc un signe de modernité. L’art lyrique est particulièrement apprécié des Coréens tant le chant fait partie de la culture coréenne, voire de son quotidien. Il suffit de voir le nombre de Karaokés à chaque coin de rue, où de dîner dans un restaurant à côté d’un groupe de cadres supérieurs venus fêter  la signature de leur dernier contrat: viendra un moment, après quelques culs-secs, où chacun se lèvera pour chanter a capella. Les opéras rencontrent donc l’engouement d’un public coréen amateur, d’autant plus que contrairement à ses voisins japonais ou chinois, ils n’ont pas l’alternative d’un opéra traditionnel coréen, car il n’en existe tout simplement pas.

Bref, les Coréens savent apprécier la musique classique, mais jusqu’ici, celle-ci rime surtout avec composition allemande ou bel canto italien, tandis que le répertoire français reste limité à quelques avertis. D’où le double challenge de cette représentation de faire découvrir une oeuvre majeure de l’art lyrique Français auprès du public coréen, mais également d’en assurer la représentation par une majorité de chanteurs coréens, peu habitués à la déclamation française, alors que les paroles ont une importance majeure dans cette oeuvre de Poulenc.

Au final, le succès est au rendez-vous: les Coréens sont venus en nombre pour les 4 représentations programmées de cet opéra qui raconte le destin de Soeurs Carmélites pendant la Révolution Française, dont Blanche de Force qui entre sous les ordres lors de l’Acte I. Confrontée à la suppression de leur congrégation imposée par la Terreur, celles-ci s’y opposent et meurent finalement, y compris Blanche qui un temps échappée du joug des révolutionnaires, rejoint finalement les membres de sa congrégation qui meurent une à une sous le couperet de la guillotine lors d’un impressionnant tableau final dont la vidéo ci-dessous. La dimension religieuse de cette oeuvre n’est pas étrangère au succès des représentations dans un pays ou le christianisme se porte à merveille. D’ailleurs une partie non négligeable du public était composé de religieuses.

Ce succès aura été le fruit d’un projet de réelle co-production artistique franco-coréenne au travers de l’Institut Français, établissement qui dépend du Ministère des affaires étrangères et dont le but est de promouvoir la culture française à l’étranger, et l’Opéra National de Corée. Un projet ambitieux porté par Jean-Louis Gavatorta, responsable musique classique et contemporaine au sein de l’Institut Français et la directrice de l’Opéra Nationale de Corée Mme Lee.

Ambitieux car il s’agit en quelques mois de sélectionner la plupart des interprètes en Corée qui certes possèdent un vivier de chanteurs de grand talent, mais qu’il faut ensuite familiariser à l’oeuvre et former à la prononciation française. Dès janvier, le pianiste Antoine Palloc et la soprano Mireille Delunsch se déplacèrent donc à Seoul pour y organiser des ateliers en compagnie des chanteurs coréens sélectionnés. Sans parler de toutes les autres composantes qui font la réussite ou non d’un opéra: l’orchestre, dirigé Daniel Kawka, la  mise en scène, et les costumes, crées et montés ad-hoc et qui furent une jolie réussite de sobriété jouant sur les trois couleurs bleu blanc rouge du drapeau national.

Un travail significatif en amont qui porte ses fruits sur scène: certes la prononciation des chanteurs coréens n’est pas parfaite, mais quelle importance pour un public coréen qui peut suivre les dialogues grâce aux sous-titres qui s’affichent sur un panneau électronique placé en haut de la scène. Le jeu de scène par contre apparaît très naturel, tandis que la complicité entre Français et Coréens paraît flagrante, notamment lorsque  la Première Prieure interprétée par Sylvie Brunet rend son dernier souffle dans les bras d’une Blanche de Force en larmes interprétée par la soprano coréenne Park Hyun-ju.

Ces Dialogues des Carmélites sont le premier projet musical d’envergure mené à bien par l’Institut Français dans le cadre d’un modèle de coopération innovant et pertinent  pour l’Asie. Dans une région du monde où lorsqu’il est question d’échanges, on pense plus volontiers aux risques de transferts technologiques et de concurrence féroce, voilà peut-être un domaine où au contraire, les échanges et le transfert sont pour le bénéfice de tous, notamment pour un pays comme la France qui peut se prévaloir d’un héritage culturel et historique riche: un argument qui parle aux Coréens qui vantent eux-même l’histoire longue de 5000 ans de leur propre pays.

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