Les changements climatiques ont stimulé l’évolution du genre Homo

Et si les changements climatiques du passé avaient joué un rôle important dans l’évolution de nos ancêtres au cours des deux derniers millions d”années ? Telle est la thèse soutenue par trois chercheurs, Katerine Freeman, professeur de géoscience et Clayton Magill, docteur en géosciences, à l’université de Pennsylvanie et Gail Ashley, professeur de sciences de la Terre à l’université Rutgers. Dans un article publié le 24 décembre 2012 dans la revue PNAS, ils suggèrent qu’une succession de rapides changements environnementaux auraient dirigé l’évolution humaine à cette époque.

Dans les sédiments d’un ancien lac

Les chercheurs ont étudié la matière organique préservée par les sédiments d’un ancien lac dans les gorges d’Olduvai, sur le versant ouest de la vallée du Rift, au nord de la Tanzanie. Ce lieu qui fait l’objet de recherches depuis 1931, est parfois considéré comme le berceau de l’humanité, en raison des nombreux témoignages de la présence de groupes humains préhistoriques dans cette région.

5 ou 6 changements d’environnement en 200 000 ans

“Le paysage dans lesquels les premiers hommes vivaient ont basculé rapidement de la forêt fermée à la prairie ouverte de 5 à 6 fois au cours d’une période de 200 000 ans”, indique Clayton Magill.  “Ces changements se sont produits de façon très brusque avec des transitions ne durant que quelques centaines ou quelques milliers d’années”, précise-t-il. Pour Katherine Freeman, la principale hypothèse suggère que les changements provoqués chez l’homme par l’évolution pendant ces périodes sont liés à cette modification constante de leur environnement et a un important changement climatique. “Alors que certains pensent que l’Afrique a subi un “grand assèchement” progressif et lent pendant 3 millions d”années, les données que nous avons recueillies montrent une absence de progression vers la sécheresse et, au contraire, un environnement extrêmement variable”, déclare-t-elle. Des périodes humides longues auraient alterné avec des périodes plus sèches.

La vie est plus difficile dans les périodes de changement que dans celles de stabilité. Clayton Magill note que de nombreux anthropologues considèrent que ces modifications de l’environnement pourraient avoir déclenché des développements cognitifs. Le bon sens conduit à la même conclusion. Soumis à des situations nouvelles, toutes les espèces vivantes doivent relever le défi : s’adapter ou disparaître. L’homme étant toujours là, il n’est pas incongru de penser… qu’il s’est adapté.

Plusieurs passages de la forêt à la prairie

“Les premiers humains ont dû passer d’une situation où ils ne disposaient que d’arbres à une autre où ils n’avaient plus que de l’herbe en seulement 10 à 100 générations et ils ont donc été conduit à modifier leur régime en conséquence”, indique Clayton Magill. Changement de nourriture disponible, changement de type de nourriture à manger, changement de façon d’obtenir la nourriture, autant de puissants déclencheurs de l’évolution. Seuls les plus malins, comme d’habitude, ont survécu. Sans doute grâce à un cerveau plus gros et, donc, à des capacités cognitives supérieures, ainsi que des modes de locomotion nouveaux et des organisations sociales différentes. “Nos données sont cohérentes avec ces hypothèses. Nous montrons que les variations rapides de l’environnement coïncident avec une période importante de l’évolution humaine lorsque le genre Homo est apparu pour la première fois avec les premières preuves de l’usage d’outils”, explique le chercheur.

Pour parvenir à ces conclusions, l’équipe de scientifiques a analysé la matière organique, les microbes et les autres organismes piégés dans les sédiments depuis 2 millions d’années dans les gorges d’Olduvai. En particulier, ils se sont intéressés à certains biomarqueurs, des molécules fossiles provenant du revêtement en cire des feuilles qui survit particulièrement bien dans les sédiments. Ensuite, la chromatographie gazeuse et la spectrométrie de masse leur ont permis de mesurer l’abondance relative des types de cires liés à différents isotopes du carbone. Ils ont ainsi pu détecter les transitions entre les environnement riches en arbres et ceux où seule l’herbe subsistait.

Sur une période de deux millions d’années, de nombreux facteurs interviennent. Comme l’évolution de l’orbite de la Terre qui influence les régimes de mousson en Afrique ou les durées d’ensoleillement qui agissent sur la circulation atmosphérique et l’apport en eau. Autant que paramètres dont les chercheurs ont dû tenir compte dans leurs modèles mathématiques.

Cela nous rappelle quelque chose…

Un tel travail nous ramène forcément à la situation que nous sommes en train de vivre aujourd’hui même. Nous aussi sommes confrontés à un changement climatique rapide. De nombreuses espèces vivantes en font et en feront les frais, faute de capacités d’adaptation suffisantes. Et l’homme ? Le réchauffement climatique actuel est le premier dont l’humanité a conscience pendant qu’il se produit. Pour la première fois, l’homme a même la sensation de pouvoir agir sur ce phénomène auquel son activité sur Terre contribue. Mais cela changera-t-il quelque chose ? Pourrons-nous prolonger la période climatique stable qui a prévalu sur la planète pendant la révolution industrielle ? Ou bien faut-il nous préparer à évoluer pour nous adapter ?

Michel Alberganti

lire le billet