La faible rhétorique de 63 chercheurs pro-OGM

Sur le site du journal Le Monde, le 27 septembre 2012, on trouve un point de vue intitulé “Pour un débat raisonné sur les OGM” signé par 63 chercheurs provenant surtout de l’INRA et du CNRS mais également du CEA, de l’Inserm et de quelques universités. Cette tribune est une réaction collective à la publication de l’étude du biologiste Gilles-Eric Séralini, professeur à l’université de Caen, dans la revue Food Chemical Toxicology suivie par la sortie, en librairie, de son livre, Tous Cobayes, et, au cinéma, du film éponyme qui en est tiré au cinéma. Une charge anti-OGM fort nourrie relayée par le gouvernement et largement diffusée dans la presse.

On pouvait s’attendre à une telle contre-attaque des pro-OGM.  Mais on reste largement sur sa faim. A vouloir beaucoup démontrer trop rapidement, les signataires font preuve, au mieux de simplisme, au pire de naïveté. Ils servent mal leur cause pour plusieurs raisons:

1°/ Un parallèle malheureux  avec les neutrinos

Le début du point de vue s’appuie sur le cas des neutrinos plus rapides que la lumière, la bourde récente du CERN. Mauvais exemple. Très mal exploité. Les signataires qualifient l’annonce de “formulée au conditionnel et avec d’infinies précautions”. La formule utilisée par le CERN le 23 septembre 2011 est: “Bien que nos mesures aient une incertitude systématique basse et une précision statistique élevée et que nous ayons une grande confiance dans nos résultats, nous sommes impatients de les comparer avec ceux d’autres expériences.” Pas vraiment de conditionnel et pas assez de précautions, comme la suite le montrera. Certes, rien à voir dans cette annonce avec celle du Nouvel Obs du 20 septembre 2011 (“Oui, les OGM sont des poisons !”). Pour autant, les neutrinos plus rapides que la lumière ne loin d’être un bon exemple de communication scientifique maîtrisée. Par ailleurs, Gilles-Eric Séralini a, lui aussi, livré ses résultats à la communauté scientifique pour vérification. De plus, il a publié son étude dans une revue, ce que les chercheurs du CERN n’avaient pas fait lors de leur annonce.

L’exemple est si mauvais que les signataires le détruisent eux-mêmes lorsqu’ils se demandent “Pourquoi une telle différence de traitement?” La réponse est édifiante : “Des enjeux scientifiques sans commune mesure ! Des contextes socio-économiques totalement différents !”. CQFD.

2°/ La sacralisation du milieu naturel

Autre motif du “bon” traitement des neutrinos et du massacre des OGM: on respecterait la Nature lorsque l’espèce humaine ne parvient pas à percer ses mystères alors que l’on condamnerait les transgressions de la Nature par l’Humain… La “sacralisation du milieu naturel” serait à l’origine de la condamnation des manipulations génétiques. Les signataires tentent de ridiculiser “l’agriculture biologique” (sic) avec l’exemple des graines germées contaminées par une bactérie pathogène, semble-t-il car ils restent imprécis, en dénonçant “l’emballement médiatique”et en concluant par un assez mystérieux: “Après tout, n’était-ce pas dans l’ordre des choses?”….
Voilà la grande coupable sur le billot : “une certaine presse”.  La même presse qui permet aux signataires de s’exprimer librement ? Encore faut-il en profiter avec un minimum de rigueur et de respect pour les lecteurs. Car les signataires enfilent ensuite les perles: synthèse de 24 études concluant à l’innocuité des OGM dans l’alimentation, aucun problème sanitaire chez les millions d’animaux nourris aux OGM, dont le mais NK603, depuis plus de 10 ans. Avec omission du questionnement sur la croissance du nombre de cancers dans les pays développés. Manipulation classique mais tellement grossière qu’elle devient ennuyeuse.

3°/ Un appel à financer… Gilles-Eric Séralini

Après avoir ainsi brillamment démontré qu’il n’y a pas de problème avec les OGM et que, depuis ses débuts, l’agriculture n’oeuvre que pour le bien de l’humanité, les signataires appellent à “un débat serein” (sic). Il est vrai qu’ils viennent d’en tracer la voie. Mais pour aller encore plus loin, et “apaiser” le climat, ils font une propositions tout bonnement sidérante : “Nous suggérons que des fonds suffisants soient alloués à l’équipe qui a publié cette étude pour vérifier leurs observations de façon complète et rigoureuse en partenariat étroit avec l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation et de l’environnement”. Magnanimes, les signataires proposent de financer ce pauvre Gilles Eric Séralini pour qu’il dispose enfin des moyens nécessaires pour sortir de l’erreur et de l’obscurantisme. Alors même qu’ils viennent de “démontrer” que les OGM ne posent pas de problèmes… Demander le financement d’une nouvelle étude plus poussée apparaît donc comme aussi méprisant que dispendieux. S’ils la jugent nécessaire, pourquoi les signataires ne l’ont-elles pas faite eux-mêmes ? Si elle est inutile, à quoi bon gâcher des fonds si précieux? La réponse est simple:  pour pouvoir passer aux choses sérieuses. Les signataires notent que “nos sociétés sont confrontées à des défis majeurs”. Histoire de rappeler qu’il faut se retrousser les manches, cesser de faire des études inutiles et utiliser les “outils disponibles”, c’est à dire les OGM, dans l’espoir“de plantes plus résistantes au manque d’eau, aux maladies (…) et même vecteurs de vaccins”. On croirait lire du Monsanto dans le texte. Et les signataires d’appeler à ce débat, le seul, le vrai. Le débat sur comment développer plus d’OGM sans “opposition stérile”.

Que 63 scientifiques aient accepté de signer un tel texte justifie presque le battage médiatique organisé par Gilles-Eric Séralini et le CRIIGEN. Si le camp des pro-OGM ne peut produire de meilleure rhétorique, on peut comprendre que, pour le combattre, le professeur de l’université de Caen ait choisi l’artillerie lourde. Et même l’excuser s’il s’avère que ses résultats sont erronés. Son étude aura eu le mérite d’attirer l’attention sur un domaine de la recherche barricadé dans ses certitudes. Et quand on sait que ce secteur est soumis à  la pression permanente des lobbies, on frémit.

Michel Alberganti

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