Baclofène : un Mediator à l’envers

Débattre du baclofène n’est pas une sinécure. Même lorsque tout le monde est d’accord sur l’efficacité de ce médicament contre l’alcoolisme. Nous en avons fait l’expérience lors de l’émission Science Publique du vendredi 7 septembre sur France Culture. Parmi les invités, Jean-Yves Nau, bien connu sur Slate.fr où il écrit les articles médicaux dont le dernier sur cette affaire en dénonçait le scandale, nous avait apporté les chiffres inédits établis par la firme Celtipharm, spécialisée dans le recueil et le traitement de l’information sur la commercialisation des médicaments. Révélées sur son blog à l’EHESP, ces données démontrent que le baclofène est largement prescrit en dehors de son indication officielle, c’est à dire le traitement de certaines maladies neurologiques comme la sclérose en plaques. Ainsi, sa consommation aurait augmenté de 30% au cours des 12 derniers mois. Sur les 45 000 patients qui ont pris du baclofène en août 2012, 11 000 l’aurait utilisé pour traiter leur alcoolisme.

Les médecins hors la loi

Le problème : le baclofène n’est pas reconnu par les institutions, l’Assurance maladie et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex Afssaps), pour le traitement de l’alcoolisme. Son autorisation de mise sur le marché (AMM) ne concerne toujours que son indication initiale. Ainsi, en toute rigueur, les médecins qui prescrivent du baclofène contre l’alcoolisme devrait indiquer “hors AMM” sur leur ordonnance ce qui rendrait impossible le remboursement par la sécurité sociale. Beaucoup ne le font pas, ce qui est une faute, afin de ne pas pénaliser leur patient. Un essai en double aveugle est en cours qui pourrait conduire à une révision de l’AMM. En effet, aujourd’hui, l’efficacité du baclofène n’est pas reconnue officiellement. L’information sur ses résultats, si remarquables soient-ils, ne circule que de bouche à oreille et de sites Internet en blogs.

La découverte d’Olivier Ameisen

La situation : le recours au baclofène pour soigner l’alcoolisme a été découvert par un médecin, Olivier Ameisen, qui a fait connaître sa propre expérience de sevrage par ce moyen dans un livre publié en 2008 (Le dernier verre, Denoël). Depuis, Olivier Ameisen mène campagne de façon passionnée pour diffuser cette information et la pratique du sevrage alcoolique à l’aide du baclofène. Le problème réside, de sa part, dans une fougue souvent non maîtrisée et qui a rendu le dialogue difficile pendant l’émission Science Publique. Deux autres participants, Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’université René Descartes et William Lowenstein, addictologue et directeur général de la clinique Montevideo, ont souvent eu du mal à s’exprimer alors même qu’ils apportaient des témoignages de leurs pratiques médicales allant tout à fait dans le sens de la croisade d’Oliver Ameisen. Ce dernier s’appuie sur le fait que l’alcool provoque, selon lui, 45 000 morts prématurées en France chaque année et qu’il est donc urgent d’agir.

Huit ans après…

Après le scandale du Médiator, nous assistons donc à une affaire similaire mais symétrique. Au lieu de présenter un danger pour les patients, le baclofène pourrait les soigner. Dans les deux cas, toutefois, les institutions restent muettes. Pas plus qu’elles n’ont pris assez tôt (euphémisme) la décision de retirer le Mediator de la vente, elles se révèlent incapables de prendre parti clairement en faveur du baclofène. Olivier Ameisen a publié sa découverte dans un journal international d’alcoologie en 2004 et son livre en 2008. Ainsi, huit ans après la révélation de l’étonnante efficacité du baclofène, personne n’est capable de dire quelle est la dose efficace contre l’acoolisme, ni quel est le taux de patients sur lesquels le traitement est efficace, ni s’il faut prendre ce médicament à vie. Tout repose sur l’empirisme de la pratique médicale.

Le silence des institutions

A une époque où de plus en plus de médicaments sont déremboursés au motif d’une trop faible efficacité découverte des années après leur mise sur le marché, voici donc la situation inverse: un médicament efficace de notoriété publique parmi les médecins mais non remboursé. On en arrive forcément à douter des institutions. D’autant qu’elles ne souhaitent pas s’expliquer. Invitée à Science Publique, l’ANSM n’a pas pu ou voulu y participer. Une attitude qui se répand de plus en plus, peut-être sous l’influence des services de communication. Lorsqu’une situation est embarrassante, les protagonistes s’abstiennent d’en débattre publiquement. C’est pratique. Mais est-ce vraiment démocratique ?

Michel Alberganti

Vous pouvez (ré)écouter l’émission :

France Culture – 07.09.2012 – Science publique :

Alcoolisme: faut-il prescrire du baclofène ?

avec:

Olivier Ameisen,  cardiologue, addictologue, professeur à l’Université de l’Etat de New York
Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’université René Descartes et responsable du service psychiatrie à l’hôpital Tarnier  à Paris
William Lowenstein, addictologue, directeur général de la clinique Montevideo, à Boulogne-Billancourt, spécialisée dans la recherche et le traitement des dépendances,
Jean-Yves Nau, médecin et journaliste à Slate.fr

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