Speedy Neutrino – Episode 4

 

Précédemment, dans Speddy Neutrino:

Episode 1 – 23 septembre 2011
Le CERN annonce que les 15000 neutrinos de l’expérience OPERA ont franchi les 730 km qui séparent le laboratoire de Genève et celui du Gran Sasso, en Italie, ont parcouru cette distance avec 60 nanosecondes d’avance sur le temps qu’aurait mis la lumière pour effectuer la même distance. Ce résultat contredit la théorie de la relativité fondée sur le fait que la vitesse de la lumière ne peut être dépassée. La statue d’Albert Einstein vacille. Les physiciens du monde entier en ont le souffle coupé. Des centaines d’entre eux se mettent au travail pour tenter de comprendre le phénomène ou de trouver une erreur possible dans l’expérience.

Episode 2 – 18 novembre 2011
Le CERN refait l’expérience en réduisant le délai entre les pulsations de neutrinos. Le résultat est identique. Les neutrinos dépassent toujours la vitesse de la lumière.

Episode 3 – 23 février 2012
Le CERN identifie deux possibilités d’erreurs de manipulation dans l’expérience OPERA. La première concerne un oscillateur utilisé pour la synchronisation des GPS qui aurait pu conduire à surestimer le temps de vol des neutrinos. En d’autres termes, les neutrinos auraient été moins rapides. La seconde cause d’erreur pourrait être engendrée par une connexion de fibre optique dans la liaison entre le signal GPS externe et l’horloge principale d’OPERA qui aurait pu ne pas fonctionner correctement pendant la mesure. Là encore, cette erreur aurait pu conduire à une mesure du temps de vol des neutrinos plus courte que dans la réalité. Le CERN annonce que les impacts potentiels de ces deux sources d’erreurs sont analysés par les chercheurs d’OPERA. Les physiciens respirent… Le CERN annonce une nouvelle expérience pour le mois de mai 2012.

Nouvel Episode – 16 mars 2012

Le CERN annonce avoir refait le calcul du temps de vol des neutrinos émis en septembre 2011 à l’aide d’une autre expérience, ICARUS, installée dans le laboratoire du Gran Sasso. Résultat: ils ne dépassent pas la vitesse de la lumière. “Cela va à l’encontre des mesures initiales rapportées par l’expérience OPERA en septembre”, commente le CERN dans un communiqué.  L’organisme que certains commentateurs, dont quelques physiciens sur ce blog, avaient osé critiqué, en profite pour expliquer comment marche la science par la voix de Sergio Bertolucci, directeur de la recherche au CERN :

La preuve d’une erreur de mesure commence à apparaître au sujet de l’expérience OPERA. Mais il est important d’être rigoureux et les expériences de Gran Sasso, BOREXINO, ICARUS, LVD and OPERA, effectueront de nouvelles mesures avec des faisceaux pulsés depuis le CERN en mai afin de fournir un verdict final. De plus, des vérifications croisées sont en cours à Gran Sasso pour comparer les temps de parcours des particules cosmiques entre deux expériences, LVD et OPERA. Quel que soit le résultat, l’expérience OPERA s’est comportée avec une parfaite intégrité scientifique en ouvrant ses résultats à un large examen et en sollicitant des mesures indépendantes. C’est ainsi que la science fonctionne.

En somme, à ce stade, le CERN ne trouve que des raisons de se féliciter. Suite au prochain épisode pour, peut-être, l’épilogue de cette formidable leçon de physique et de probité scientifique.

Michel Alberganti

5 commentaires pour “Speedy Neutrino – Episode 4”

  1. J’adore l’image que l’on peut voir sur le site de futura sciences d’Einstein verbalisant un physicien voulant dépasser la vitesse de la lumière 🙂
    Quant à la déclaration du Directeur du Cern, on comprend qu’il soutienne ses équipes mais sa conclusion c’est ainsi que la science fonctionneest tout même un peu lapidaire. On ne pouvait que, <b<légitimement se poser la question pourquoi ne pas avoir attendu les vérifications finalement faites pour faire une annonce aussi incroyable?
    Mais le débat est bel et bien clos en attendant le prochain épisode venant du Cern ou des équipes américaines qui vont aussi faire des vérifications.
    A suivre donc 🙂
    http://www.futura-sciences.com/uploads/RTEmagicP_neutrino_einstein_Reidar_Hahn_Sandbox_Studio_txdam28600_ac1874.jpg

  2. Personne -en tous cas parmi leurs collègues- n’a soupçonné les physiciens d’Opera
    d’avoir triché, mais le mot de ‘probité’ est bien le dernier qui vient à l’esprit dans cette affaire.
    La première chose qu’on enseigne -on qu’on devrait enseigner- à un étudiant en science- consiste à chercher, face à un signal nouveau dans les résultats d’une expérience, toutes les causes possibles d’artefact: défaut d’appareillage, biais,
    erreur de calibration, origines exogènes non ou insuffisament, prises en compte, bref, à ‘tuer’ le signal de toutes les manières possibles en vérifiant soigneusement qu’il n’est pas explicable par un effet banal, avant de parler, à ses collègues d’abord, de la possible découverte d’un phénomène nouveau. C’est un point essentiel dans la formation d’un scientifique, d’autant plus important que le réflexe consistant au contraire à essayer d’augmenter le signal avant de s’assurer qu’il s’agit de quelque chose d’authentiquement nouveau est évidemment très répandu chez les débutants.
    On peut ajouter qu’il faut appliquer cette règle d’une manière d’autant plus stricte que
    la supposée découverte viendrait mettre en cause des connaissances plus fondamentales ou plus profondément établies.
    Or dans les bases de la physique moderne, il n’existe que très peu de chapitres ayant une fondation aussi solide que la relativité restreinte, tant au point de vue théorique qu’expérimental. Et les physiciens des particules le savent mieux que personne.
    C’est pourtant ce chapitre que venait bouleverser l’expérience Opera après avoir pris six mois à peine pour vérifier les causes d’erreurs possibles. Le groupe aurait pu demander, par exemple aux voisins d’Icarus, de vérifier avant d’alerter la planète pour finir par un lamentable flop dont la physique des particules, en ces temps de budgets revus en baisse, se seraient volontier passée.
    Ce n’est pas ainsi que se fait la science et Sergio Bertolucci le sait très bien; mais la direction du Cern, qui a pris une part essentielle dans le montage du show est manifestement incapable de se remettre en cause. Le problème auquel elle va devoir faire face est qu’il ne s’agit pas de convaincre des blogueurs teintés de vagues connaissances en physique, mais peu intéressés par la démarche, fastidieuse mais indispensable, décrite plus haut. Il s’agit de convaincre les bailleurs de fond qui eux-mêmes représentent les intérêts de contribuables, peut-être intéressés par le progrès scientifique mais certainement peu enclins à financer des recherches qui ne seraient pas menées avec toute la rigueur voulue.

  3. @ John : Il va de soi que le terme “probité” est utilisé au second degré dans ce billet. Il traduit le message que véhicule la déclaration du CERN. Grand merci pour votre commentaire d’une clarté remarquable, tout comme le style de votre écriture.

  4. […] (ici, là, là et […]

  5. A mon humble avis (en tant qu’ingénieur au passé scientifique), il s’est passé 2 choses:
    *L’ensemble des matériels de mesure des résultats de cette expérience est certainement horriblement complexe, et une vérification complète que tout s’est bien passé demande (et a bien demandé) plusieurs mois de durée, avec beaucoup de personnes impliquées…(et les coûts qui vont avec)
    *..et dans le même temps, on exige des scientifiques qu’ils publient… et il y a de la concurrence donc il faut aller vite et être le premier. La sur-importance du “paraitre” par rapport à l'”être” est partout y compris dans la recherche scientifique!

    Alors pris entre deux feux (soit je publie bien que n’ayant pas tout vérifié complètement à fond, soit je vérifie d’abord mais je vais perdre du temps et de l’argent), le CERN a préféré publier, sachant qu’en plus la communauté scientifique se mobiliserait pour tout bien vérifier… et c’est ce qui s’est passé.
    Pour mémoire, le CERN avait été assez précautionneux lors de la publication. Une fois de plus, ce sont les journaux et les journalistes qui ont démarré au quart de tour, et ont -comme d’habitude – amplifié et déformé…
    Et ce n’est certainement ni la première fois, ni la dernière fois que ça se passe. C’est le prix à payer de la sur-médiatisation qui nous entoure…

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