Neutrinos : Le chrono serait faux !

Un neutrino détecté grâce aux particules émises après une interaction - CERN

“Selon une source proche de l’expérience”, les neutrinos qui semblaient avoir battu la lumière en septembre 2011 auraient simplement bénéficié d’une mauvaise connexion entre un GPS et un ordinateur. Incroyable, impensable. Une erreur aussi grossière serait donc à l’origine de l’un des résultats les plus tonitruants de la recherche en physique depuis plusieurs décennies. Il y a 5 mois, donc, les scientifiques de l’expérience Opera nous ont joué le grand air de la remise en cause de l’un des piliers de la physique moderne, établi par Einstein il y a plus d’un siècle: le caractère indépassable de la vitesse de la lumière, théorie qu’aucune expérience n’avait, jusqu’alors, remise en question. Or, les neutrinos, particules mystérieuses qui, aux dernières nouvelles, ont une masse, auraient dépassé cette vitesse (300 000 km/s) sur les 731 km de leur trajet entre le CERN de Genève et le laboratoire de Gran Sasso en Italie. On savait que rien n’arrête les neutrinos. Mais de là à dépasser la vitesse de la lumière en se déplaçant, de surcroit, dans la croute terrestre… Nombre de physiciens ont alors failli avaler leur chapeau ou en perdre leur latin. Et des centaines d’entre eux se sont mis à cogiter pour trouver une explication. Cette prise de tête a donné lieu à une multitude de publications scientifiques. Et consommé une quantité considérable d’énergie et de temps.

Connexion défectueuse d’une fibre optique entre un GPS et un ordinateur

Un peu inquiets, les chercheurs du CERN ont refait l’expérience en novembre 2011: même résultat ! Les neutrinos battent la lumière de 60 nanosecondes. Connaissant le sérieux des physiciens travaillant dans ce temple de la recherche en physique, lieu où ils chassent, par ailleurs, le boson de Higgs à l’intérieur du LHC, l’affaire semblait entendue. Et voilà que le journal Science annonce, le 22 février 2012: “Les 60 nanosecondes de différence semblent provenir d’une mauvaise connexion entre un câble à fibre optique reliant un récepteur GPS utilisé pour corriger la durée du trajet des neutrinos et la carte électronique d’un ordinateur”. Après réparation, la mesure de la vitesse de transmission des données entre les deux appareils fait apparaître une différence de… 60 nanosecondes ! Diable ! Cela revient à ajouter 60 nanosecondes au chrono des neutrinos. Tout rentre alors dans l’ordre. La vitesse de la lumière n’est pas violée. Albert Einstein n’a plus a se retourner dans sa tombe…

Encore faudrait-il, tout de même, refaire l’expérience, avec une bonne connexion cette fois. Histoire d’être vraiment sûr que l’on peut consigner cette anecdote dans la liste des plus grosses bourdes expérimentales de l’histoire de la physique. Le CERN peut difficilement éviter de faire rejouer le match.

Les Américains savourent…

Prudence, donc… Chat échaudé… La nouvelle, comme par hasard, émane du journal américain Science. Outre-Atlantique, on ne serait sans doute pas trop mécontent de voir les collègues européens se couvrir de ridicule. La démarche de Science est en effet assez surprenante: voici l’un des deux journaux scientifiques les plus renommés de la planète (l’autre étant Nature) qui sort un scoop à partir d’une source non citée. Pratique peu courante dans l’univers de la recherche. On peut espérer que Science utilisera aussi les fuites provenant de la NASA ou d’autres centres de recherche américains pour en faire profiter la communauté scientifique avec la même célérité.

De son coté, Nature n’a pas tardé à réagir sur son blog en reprenant l’information révélée par Science et en ajoutant une autre rumeur concernant une deuxième source d’erreur possible : un défaut de calcul (interpolation) dans la synchronisation des horloges atomiques utilisées pour mesurer le temps entre les lieux de départ et d’arrivée de la course. Pas de communiqué sur le site du CERN mais une confirmation de l’information diffusée par Science à  l’agence Reuters par James Gilliers, son porte-parole “C’est une explication possible. Mais nous n’en saurons pas plus avant d’avoir effectué de nouveaux tests”.

Michel Alberganti

60 commentaires pour “Neutrinos : Le chrono serait faux !”

  1. @John
    Comme je le disais je n’ai pas eu l’occasion de suivre l’affaire de l’intérieur ; je n’ai pas assisté ni eu d’échos de la conférence ayant eu lieu au CERN ou d’autres actions menées dans le milieu scientifique à l’époque. Je ne vais donc pas contredire la qualification de “show”, faute d’informations pour juger…

    Vous ne pouvez pas pour autant ôter tout le côté de la communication orale en science. Si un exposé enflammé est évidemment une imbécilité, un exposé actif et enthousiaste est une bonne chose. Est-ce aussi sortir de sa réserve de scientifique ?! Il n’y a pas de limite claire, votre rejet viscéral de ce qui a été fait en septembre qui vous aveugle.

    Sur la presse, je n’ai jamais douté qu’elle allait publier correctement le démenti. Elle l’a fait au contraire avec un grand naturel, mais le problème n’est pas là. C’est vous qui ne comprenez rien. Notamment parce que vous répondez à coté de la plaque ; vous me parlez du journaliste, dont j’ai dit plus haut que je pensais qu’ils étaient compétents, alors que la question porte sur une dynamique globale (que vous n’arrivez peut-être pas à cerner). Ce qui compte n’est pas l’existence du fait et de son démenti, mais les traitement qui en sont faits. La presse a été beaucoup trop loin en automne. Le message qui a été passé au public ne sera pas effacé par des démentis, c’est il y a six mois que le contenu des journaux aurait dû être différent.

    Vous êtes terriblement imbu de vous-même, j’espère que cela ne vous dessert pas trop dans votre métier.

  2. Et bien entendu, au cas où vous seriez tenté de voir les choses très simplement, le message passé au public dépasse le simple “les neutrinos vont plus vite que la lumière”, il porte aussi sur la science et les scientifiques.

  3. @ John
    Le débat sur la promptitude de l’annonce et sur la réaction de la presse est effectivement clos comme vous le dites.
    Cependant la question du pourquoi d’une telle expérience (mesure de la vitesse des neutrinos sur une si courte distance) ne serait-ce qu’en terme de coût et donc d’utilisation des fonds publics ne se pose-t-elle pas?
    La réponse est peut-être qu’il s’agit d’un résultat secondaire obtenu par les équipes alors que l’expérience OPERA (O scillation P rojet avec E-mulsion t R acking A ppareils) a pour objectif la détection d’un phénomène appelé l’oscillation des neutrinos c’est à dire la migration de muon neutrinos en tau neutrinos qui a comme conséquence l’existence d’un masse pour les neutrinos et que cette masse n’est pas la même pour chaque type de neutrinos ?
    L’argument du physicien Dario Autiero pour la poursuite de l’expérience est que d’une part la désynchronisation des horloges et d’autre part le défaut de connexion entre le GPS et les fibres optiques se compensent point de vue qualitatif mais qu’on ne sait pas ce qu’il en est quantitativement.
    L’autre argument sous-jacent c’est qu’après une telle annonce un doute, même infinitésimal, serait-il acceptable ?
    D’ailleurs une autre équipe internationale, la collaboration Minos, s’apprête à mener, de manière totalement indépendante, une expérience similaire avec des neutrons produits par le Fermilab, près de Chicago, et envoyés sur une cible enfouie dans une ancienne mine du Minnesota, distante, là aussi, d’environ 700 km. (Cf. le Figaro on remarquera la coquille neutrons au lieu de neutrinos).
    L’équipe Minos a le même objectif de recherche qu’OPERA.

  4. Selon le magazine Science, certains chercheurs de l’expérience OPERA auraient émis des doutes sur la connexion entre le GPS et l’ordinateur mais ces remarques n’auraient pas été retenues par les responsables de l’expérience…

  5. @patricedusud Votre post du 1 mars n’était pas encore ‘modéré’ et donc pas visible, quand j’ai envoyé le mien, c’est pourquoi je n’y répondais pas. Effectivement -je l’ai rappelé d’ailleurs- Opera n’a pas été conçu pour mesurer la vitesse des neutrinos, mais pour mettre en évidence directement l’oscillation de numu en nutau en identifiant les tau produits dans le détecteur par les nutau issus de l’oscillation (le faisceau au départ du Cern ne contient pas de nutau). Jusqu’à présent, Opera n’a identifié qu’un événement nutau et de toute façon n’en obtiendra jamais que quelques uns sur la durée prévue pour l’expérience. C’est bien là que le bât blesse. L’expérience Minos à Fermilab (Ilinois) et l’expérience T2K à JPARC (Japon) étudient aussi ces oscillations mais d’une manière beaucoup plus efficace en mesurant la disparition des numu et la déformation -dûe à l’oscillation- du spectre en énergie des numu observés. Au prix d’un énorme effort, Opera vérifie qu’une partie au moins des numu disparus deviennent des nutau ce qu’on sait depuis longtemps pour des raisons qu’il est difficile de résumer ici. L’intérêt de l’expérience est donc limité et elle s’est trouvé un but secondaire avec cette mesure de vitesse. Le coût supplémentaire n’est certainement pas très élevé et il est normal que l’équipe d’Opera ait voulu profiter de sa relativement longue ligne de base pour faire cette mesure. Les physiciens des particules considèrent souvent avec un certain scepticisme les résultats issus de l’astrophysique puisqu’ils ont, eux, le contrôle de leur faisceau alors que les astrophysiciens sont bien obligés de se contenter de ce que les astres leur envoient.
    Il n’empêche, la physique des réactions nucléaires est telle que la production d’une énorme quantité de neutrinos dans l’explosion d’une supernova est inévitable. Elle a été directement vérifiée par l’explosion de SN1987A qui a, par la même occasion, donné la possibilité de mesurer la vitesse des neutrinos avec une précision qu’aucune expérience terrestre ne peut espérer atteindre. Une incertitude de quelques heures sur 168000 ans correspond à une erreur de quelques milliardièmes
    sur la vitesse mesurée alors qu’une incertitude de 60 nanosecondes sur 2,4 millisecondes correspond à une erreur de 2.5 cent-millièmes sur cette vitesse.

    @Michel Alberganti Il y a malheureusement une certaine opacité dans la façon de faire du sous-groupe d’Opera qui s’occupe de cette mesure, en particulier en ce qui concerne l’utilisation du GPS et cela ne se limite pas à des questions de connections.

  6. @ John
    Merci pour ces précisions documentés, factuelles et non partisanes
    Cela change de certains autres commentateurs qui utilisent la disqualification comme argument 🙂
    exemples :
    à mon égard de la part de Tilm
    Vous avez réellement l’air de penser que l’erreur est du niveau d’une machine à laver non reliée à l’arrivée d’eau…
    adressé à vous
    Vous êtes terriblement imbu de vous-même

  7. […] chercheurs du CERN de Genève, fort nombreux il est vrai, qu’ils ne désarment pas. Alors que l’affaire des neutrinos plus rapide que la lumière (expérience OPERA) n’est pas officiellement élucidée et que le […]

  8. Thanks for your insight for the great posting. I am glad I have taken the time to see this.

  9. L’expérience Icarus vient de publier de nouvelles mesures de la vitesse de neutrinos.
    Elle utilise la même infrastructure qu’OPERA mais la détection de l’arrivée des neutrinos par l’expérience OPERA se fait par émulsion photographique tandis que ICARUS utilise de l’argon liquide.
    Le résultat obtenu infirme celui d’Opera :
    “The result is compatible with the simultaneous arrival of all events with equal speed, the one of light.” (Neutrinos have such a small mass that it’s relatively easy to accelerate them to a speed that is only marginally slower than light.)
    A suivre …. 🙂
    http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/physique-1/d/neutrinos-transluminiques-icarus-donnerait-raison-a-einstein_37480/
    http://www.wired.com/wiredscience/2012/03/icarus-neutrinos/

  10. […] commente le CERN dans un communiqué.  L’organisme que certains commentateurs, dont quelques physiciens sur ce blog, avaient osé critiqué en profite pour expliquer comment marche la science: Tweet […]

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