Les vins chers sont-ils meilleurs ?

 

Les fidèles de ce blog se souviennent peut-être qu’il y a quelques semaines, j’ai déménagé. A Cognac. Ce qui amuse beaucoup de mes amis, qui savent que je ne bois pas une goutte d’alcool. Il n’empêche. Que l’on apprécie ou pas les produits de la vigne (ou de toute sorte de fermentation, macération ou distillation), il existe ici un lieu fascinant : la Cognathèque. Fascinant car il s’agit d’un véritable petit musée du cognac mais aussi parce que le prix de certaines bouteilles dépasse l’entendement comme la Beauté du siècle : 179 400 euros pour 70 centilitres. On trouve évidemment des tarifs nettement plus raisonnables mais, à catégorie équivalente, les prix peuvent varier du simple au triple.

Un profane tel que moi, qui ne s’intéressera jamais au contenu de ces bouteilles, sait tout de même qu’on achète une qualité et une marque. Mais, en matière de boissons, n’achèterait-on pas aussi un prix ? La question pouvant sembler saugrenue, je m’explique. La consommation de vin, par exemple, étant a priori un acte de plaisir, quel impact a le prix de la bouteille sur ce plaisir ? A quel point une “bonne bouteille” est-elle une bouteille qui a coûté cher ? Pour le dire autrement, les vins chers sont-ils meilleurs parce qu’ils sont chers ? Une étude publiée en 2008 dans les Proceedings de l’Académie des sciences américaine  a apporté une réponse qui fera avaler de travers certains œnologues et jubiler les spécialistes du marketing. L’expérience qui y est présentée part d’une hypothèse simple : les consommateurs corrèlent la qualité avec le prix. Vingt cobayes âgés de 21 à 30 ans ont donc été placés dans un appareil à IRM (imagerie par résonance magnétique) pendant qu’on leur faisait tester cinq vins, qu’ils devaient noter sur une échelle allant de 1 à 6 (1 quand ils n’aimaient pas, 6 quand ils croyaient avoir goûté à la dive bouteille). Entre chacune des cinq dégustations, ils se rinçaient la bouche avec une solution au goût neutre. Pendant tout ce temps, l’IRM mesurait les zones cérébrales activées.

Chaque vin était identifié, non pas avec son nom, mais avec le prix auquel il avait été acheté (ce qui ne choque pas vraiment aux Etats-Unis). L’astuce de l’expérience, c’est qu’il n’y avait pas cinq bouteilles différentes, mais seulement trois. La première, la moins chère dans le commerce, était présentée avec son vrai prix (5 $) et avec un prix fictif représentant une augmentation de 800 % (45 $). La deuxième, placée dans l’expérience pour faire diversité et diversion, valait 35 $. Quant à la troisième, elle était elle aussi dédoublée, présentée à son prix réel de 90 $ mais aussi avec une décote de 89% à 10 $. Et que croyez-vous qu’il arriva ? Les notes suivirent exactement l’échelle des prix, comme le montre le graphique ci-dessous extrait de l’étude : la “piquette” à 5 $ était nettement plus appréciée quand elle était censée en valoir 45 et le “bon cru” à 90 $ avait comme un goût de vinaigre lorsqu’il n’en valait plus que 10… A peine mieux noté que la solution de rinçage. Et le cerveau dans tout ça ? Une zone du cortex orbito-frontal associée au plaisir sensoriel était plus irriguée lorsque le testeur avait le vin à 90 $ en bouche que lorsqu’il goûtait au vin à 10 $, alors qu’il s’agissait de gorgées venant de la même bouteille !

Connaître le prix de ce que l’on boit pilote notre jugement sur la qualité du produit, ainsi que le plaisir que l’on tire à déguster la boisson. Cet effet du prix a été démontré dans d’autres études dont une, retentissante, qui a été publiée en 2005 dans le Journal of Marketing Research. Dans une des expériences que relate cet article, les chercheurs ont demandé à des cobayes d’avaler un de ces breuvages censés donner un coup de fouet aux  capacités intellectuelles, puis de résoudre un maximum d’anagrammes en un temps donné. On a au préalable demandé aux participants s’ils croyaient que ce genre de mixture avait un effet véritable et cela a son importance pour la suite de l’expérience. Chacun a eu la même boisson et devait la payer de sa poche au laboratoire de recherche. Simplement, pour certains, le formulaire de prélèvement bancaire à signer expliquait que le laboratoire avait eu un prix de gros pour la boisson (0,89 $ au lieu de 1,89 $) tandis que, pour les autres, seul le prix normal de 1,89 $ était indiqué.

Quels ont été les résultats ? A la lumière de ce que j’ai raconté plus haut, vous ne serez pas surpris de lire que les cobayes ayant eu droit à la ristourne ont réussi à résoudre moins d’anagrammes que ceux ayant payé le prix fort et qu’un groupe témoin. Comme si le fait d’avoir payé moins cher un produit censé booster votre cerveau en amoindrissait les qualités voire vous handicapait. Le plus amusant (et le plus logique) de l’histoire, c’est que cet effet nocebo (le contraire de l’effet placebo) était nettement plus marqué chez ceux qui croyaient à l’efficacité de la boisson que chez les sceptiques. Ainsi, chez les convaincus, les bénéficiaires du prix de gros n’avaient résolu que 5,8 anagrammes contre 9,9 pour les autres et 9,1 pour le groupe témoin. Chez les sceptiques, l’écart était moindre, mais quand même réel, avec 7,7 anagrammes résolues contre 9,5.

Que nous disent ces études ? Que le prix joue inconsciemment sur les attentes des consommateurs. En payant le prix fort, vous vous attendez à de la qualité et votre cerveau va se débrouiller pour que vous la retrouviez lorsque vous dégusterez le contenu de votre bouteille. En déboursant moins, vous dévaluez inconsciemment le produit, vos attentes à son sujet sont moins élevées et le plaisir/bénéfice que vous en tirez est moindre. Les spécialistes du marketing, qui connaissent la psychologie, disent que le prix fait le produit. Et peut-être plus que les qualités intrinsèques du vin.

Pour s’en convaincre définitivement, me direz-vous, il faudrait juste faire une expérience à l’aveugle et goûter, sans en connaître ni le prix, ni l’origine, ni le millésime, différents vins pour savoir si les plus chers sont bien les meilleurs. Eh bien, cette expérience a été faite aux Etats-Unis sur une grande échelle puisque plus de 500 personnes âgées de 21 à 88 ans ont participé à 17 dégustations à l’aveugle, notant 523 vins allant de 1,65 $ à 150 $ la bouteille. Soit un total de plus de 6 000 notes distribuées. Les résultats de l’étude me plaisent assez, moi pour qui tous les vins ont le même goût et la même odeur : “Nous trouvons, écrivent ses auteurs, que la corrélation entre le prix et l’appréciation globale est petite et négative. A moins d’être des experts, en moyenne, les individus apprécient légèrement moins les vins plus chers.” Un conseil : si vous cassez votre tire-lire en achetant une bouteille pour des amis, laissez le prix dessus. Et si vous choisissez du vin bas de gamme parce que vous êtes rapiat, prélevez une étiquette sur une bouteille beaucoup plus chère et collez-la sur votre picrate.

Pierre Barthélémy

 

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