Les gays ne veulent plus être prisonniers du préservatif

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C’est dans une relative discrétion que le ministère de la santé a lancé, le 4 novembre, le Plan national de lutte contre le VIH/Sida et les infections sexuellement transmissibles (IST) 2010-2014. Certes, les grandes lignes en avaient été dévoilées par Roselyne Bachelot début octobre dans Libération, mais on pouvait imaginer qu’après la grande baffe qu’avait prise la première mouture du Plan à la fin du printemps, vertement critiquée par le Conseil national du sida et la Conférence nationale de santé, le ministère aurait eu à cœur de montrer qu’il avait soigneusement revu sa copie. Surtout, ce Plan 2010-2014 marque un changement de paradigme majeur de la politique de prévention et de dépistage du VIH. Pour schématiser, celle-ci reposait toujours sur les trois piliers établis dans les années 1980, lorsque l’épidémie a commencé : 1/ tout le monde est concerné ; 2/ le dépistage est une démarche individuelle ; 3/ tout le monde doit se protéger avec le préservatif.

En un quart de siècle, tout cela a changé. Tout d’abord, en France, le VIH ne concerne plus “tout le monde” au même titre. Les homosexuels masculins et, dans une moindre mesure, les migrants d’Afrique subsaharienne, sont nettement plus touchés que les hétérosexuels. Une étude de l’Institut de veille sanitaire, publiée dès 2009 sans que cela fasse de bruit, et reparue en septembre dans The Lancet, cette fois avec tambours et trompettes, laissait penser que l’épidémie de VIH était “hors de contrôle” chez les gays de France. C’était un peu exagéré mais cela traduisait une réalité : il n’y a pas d’égalité vis-à-vis du virus du sida. Le Plan 2010-2014 intègre enfin ce fait, reprenant les recommandations de divers rapports. Il insiste sur un dépistage généralisé, qui devra être proposé par les médecins de ville et financé à hauteur d’un milliard d’euros, et sur un traitement précoce, les antirétroviraux ayant désormais fait la preuve de leur efficacité. Le but est d’identifier rapidement les séropositifs qui s’ignorent : ils seraient environ 50 000 en France (avec évidemment un turn-over important puisqu’il y a 7 000 nouvelles contaminations chaque année) et ce vivier sans cesse renouvelé alimente l’épidémie.

Ces chiffres montrent bien que l’actuelle politique de prévention, basée sur l’utilisation du préservatif, a atteint ses limites depuis plusieurs années. Comme me l’a dit Bruno Spire, directeur de recherches à l’Inserm et président de l’association Aides, “croire que les gens vont se protéger à 100% tout le temps avec le préservatif relève de la méthode Coué. Comme si les gens allaient être parfaits tout le temps… C’est comme si on prônait l’abstinence : après tout, c’est un bon moyen de ne pas être contaminé !” Même si le marché du condom se porte bien en France, l’utilisation systématique de la capote est donc en baisse. Ce qui, dans une population fortement touchée par le VIH comme celle des homosexuels masculins, est un vrai danger. J’ai voulu comprendre les raisons de cette baisse de vigilance ou de cette lassitude, et la manière dont les gays envisageaient la prise de risque. Voici les témoignages de trois d’entre eux.

Vincent a 22 ans. Il est étudiant et passe une année Erasmus en Angleterre :

“La lassitude vis-à-vis du préservatif est arrivée rapidement pour moi : à chaque rapport sexuel, c’est une frustration d’utiliser la capote, un sentiment qu’on ne peut jamais aller au bout du plaisir. Ma difficulté n’est ni d’ordre technique, ni liée à un manque d’information, ni un manque de volonté de me protéger. J’ai envie de me protéger face au VIH et je ne souhaite attraper aucune IST. Seulement, ma sexualité est très importante dans ma vie et les rapports naturels sans rien ont toujours été les meilleurs et ceux qui m’excitent le plus. J’entre dans le même moule que beaucoup de gens : je n’aime pas les préservatifs. Dans la mesure du possible, j’en mets, je me force à en mettre.”

“En général, je résiste à mes envies de faire sans. Mais cette difficulté à me protéger survient ou est aggravée dans deux situations. Soit lorsque j’ai des baisses de moral car je me sers du sexe autant comme occupation que comme exutoire avec des partenaires occasionnels : quand j’ai eu une sale journée, ma seule envie c’est de compenser sexuellement et c’est dans ces moments-là que je peux aller loin tant au niveau des pratiques qu’au niveau de ma prévention. Soit lorsque j’ai de l’affection pour une personne. Dans ces situations, ma stratégie n’intervient qu’à posteriori : je discute avec la personne après le risque, je fais des dépistages régulièrement (tous les 6 mois ou un mois après un risque), et il m’est arrivé une fois de prendre un traitement post-exposition. Mais vu la lourdeur du truc, je crois que je réfléchirai à deux fois avant d’en reprendre un.”

“Je dis ça en étant très bien informé de ce que c’est que vivre avec un traitement, être séropositif, etc. Mais le comportement sexuel et l’excitation n’obéissent pas à des éléments rationnels. C’est pour cela aussi que le meilleur outil de prévention pour moi, en l’absence de vaccin ou autre traitement pré-exposition, reste d’être soutenu, encouragé, rassuré par des gens qui m’écoutent et me comprennent sans me juger. Certains trouvent paradoxal d’être engagé dans la lutte contre le sida et d’avoir des prises de risque. Or justement je pense que si la lutte contre le sida bloque et qu’il y a toujours des nouvelles contaminations dans des pays où l’on a un accès élevé au dépistage et à la prévention, c’est notamment parce que l’on refuse d’avoir une approche différente des personnes qui prennent des risques.”

Christophe a 36 ans. Il est acteur de prévention à l’association Aides.

“Pour moi, une relation sexuelle normale est sans préservatif. Il faut le rajouter. C’est un acte qui n’est pas “prévu” et qui vient s’immiscer en temps et en sensations entre les deux corps. Cela dit, il y a quinze ans, le VIH était encore relié à la mort et je faisais très attention. Il y avait une urgence et il était hors de question pour moi de ne pas me protéger. Aujourd’hui, cela a changé : je ne vois plus trois personnes mourir chaque mois du sida. Il faut donc que je fasse un effort au niveau du préservatif. Il y a des fois où je n’y pense tout simplement pas. Il faut bien comprendre que beaucoup d’homosexuels ont une vie sexuelle plus libérée que la plupart des hétéros : quand je vais en backroom, ce qui peut m’arriver plusieurs fois par semaine, je peux faire dix fellations en 25 minutes, ce qui veut dire que je serai en contact avec au moins une personne séropositive.”

“La multiplication des partenaires, qui est un mode de vie chez beaucoup de gays, entraîne une multiplication des risques. Je peux avoir plusieurs centaines de partenaires en une année et j’estime que 10% de mes rapports sexuels sont non-protégés. Je vais me faire dépister trois ou quatre fois par an pour le VIH et une fois par an pour la syphilis et l’hépatite C. Une fois sur deux, j’ai recours au dépistage communautaire. En 1h20 c’est réglé, c’est rapide et c’est fait par des gens qui me ressemblent et ne me jugent pas.”

Jean-Louis a 55 ans. Il est chargé de mission à Aides. Et séropositif.

“Après que je me suis séparé de ma femme, à 45 ans, j’ai eu une vie sexuelle particulièrement active et c’est à ce moment-là que j’ai été contaminé. La capote n’est pas du tout naturelle ni spontanée pour ceux qui, comme moi, ont connu la sexualité avant le sida. Quand, en 2006, j’ai découvert  ma séropositivité à l’occasion d’une demande de prêt (que je n’ai pas eu avec cette banque…), je n’étais pas bien informé du tout. Je suis allé faire des analyses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris et le premier médecin que j’ai vu m’a dit : “Vous n’avez pas honte, à votre âge ?” Mais encore une fois, utiliser le préservatif n’est pas évident quand vous avez connu la période où on n’en mettait pas…

“Les homosexuels d’un certain âge ne sont pas d’ailleurs perçus dans le champ de la prévention qui est faite pour les jeunes citadins : ces personnes sont donc plus difficiles à appréhender, moins liées aux associations, elles vivent plus à part, ne fréquentent pas les mêmes lieux que les jeunes. Et pour ce qui est de l’utilisation du préservatif s’ajoute un autre problème, celui des érections plus difficiles : quand vous commencez à bander moins bien, c’est plus compliqué. C’est un sujet tabou que celui de la perte de virilité, difficile à exprimer. On touche à quelque chose d’intime, à la fragilité de l’homme qui vieillit…”

Pierre Barthélémy

10 commentaires pour “Les gays ne veulent plus être prisonniers du préservatif”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Big Gay Nouvelles, actuvih. actuvih a dit: Prévention: Des gays témoignent sur les difficultés de l'utilisation du préservatif. http://bit.ly/daJGMf […]

  2. […] Il faut bien reconnaître que l’épidémie de sida et autres IST est une catastrophe pour les HSH (appellation de santé publique désignant les “hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes”). Les témoignages récents qui circulent à l’envi sur internet le confirment. Quelqu’un confie ici ses prises de risques et explique que ce n’est pas par manque d’information mais pour garantir sa jouissance qu’il n’utilise pas toujours de préservatifs, un autre assimile “l’objectif capote maximum” à l’abstinence pour prouver que c’est par conséquent inaccessible. Ces paroles n’auraient rien d’embarrassant, et à la limite n’intéresseraient personne si elles n’étaient pas tenues par un acteur de prévention ou un responsable d’association (lire par exemple Les gays ne veulent plus être prisonniers du préservatif). […]

  3. Pierre,

    êtes vous pédé?
    niquer vous sans capotes?
    ce sont des questions importantes pour moi auxquelles j’aimerais que vous répondiez.
    Merci.

  4. @Arlindo : A priori, on ne pose pas ce genre de question à un journaliste et, de toute manière, il n’a pas à y répondre. Cela dit, j’imagine que plusieurs lecteurs, imprégnés d’une certaine homophobie ou d’une homophobie certaine, se sont demandé si cet article n’était pas une défense masquée des homosexuels. Pour couper court à tous ces fantasmes et jouer cartes sur table, je vous dirai donc que non, je ne suis pas homosexuel ni militant de la cause gay, et que si cela doit justifier quelque chose à vos yeux, je suis marié et j’ai quatre enfants. Cela ne m’empêche pas d’essayer de comprendre et de respecter les choix de vie des autres…

  5. Le seul préservatif qui empêche les homos de s’épanouir c’est, c’est la connerie des morales collectives.et surtout un niveau d’intelligence. Si la connerie des homophobes était du sable chacun d’entre eux serait le désert du Sahara.

  6. Je cite :

    ” il insiste sur l’importance d’un dépistage généralisé,…. les traitements ayant fait preuve de leur efficacité”.

    *******************

    Voilà, de la part d’un journaliste, une spectaculaire langue de bois. Aucun mensonge dans l’assertion, mais on voudrait cacher le fond de l’affaire qu’on ne s’y prendrait pas autrement . Un lecteur non averti ne comprendra pas le sens réel de cette phrase, il comprendra que les traitements soignent bien les séropositifs, ce qui est vrai….mais “l’efficacité” dont il est question n’est pas celle-là du tout : les traitements rendent les séropositifs qui les prennent non contaminants. Un lecteur extérieur , à la lecture de ce blog, n’est absolument pas en mesure de comprendre les causes et les enjeux des évolutions de la prévention.

    les séropositifs soignés n’étant plus contaminants, ils ne mettent plus de préservatifs, en toute tranquilité ( pri-vi-lège ) et expose vers l’extérieure une tentation conquérante.
    Les séropositifs par ailleurs n’ont pas toujours été informés que les traitements les rendaient non contaminants, et du coup sont restés contaminants car ils n’ont alors pas toujours pris leur traitement, FAUTE de la délivrance de cette information ( scandale de la santé publique à la clef )….

    Face à ces question majeures , et parmi d’autres que je n’évoque pas, qu’apprent-on ici ? rigouresement rien : que le préservatif n’est pas agréable etc….? Non, les gens, enfin, le disent.

    J’attendais une véritable information et un questionnement beaucoup plus approfondi après avoir lu ce blog via un lien de seronet, or on croirait lire des commentaires de 1998 .

  7. @Jean-Christophe Marie : Ce sont des témoignages pas une analyse. Qu’attendiez-vous de plus que la vérité de ces personnes ? Vous avez l’air de regretter que je n’aie pas choisi un autre angle… mais il se trouve que c’est mon blog et que j’y écris ce que je veux. Il n’y a aucune contre-vérité dans cet article, vous l’admettez, et c’est bien là l’essentiel. J’ai fait parler ces hommes parce que je trouvais que ce qu’ils disaient ne s’entendait pas souvent. C’est tout.

  8. ” Il n’y a aucune contre-vérité, …… et c’est bien là l’essentiel..” .: non.

    Mais après tout, nous n’en sommes qu’au début , peut-être d’autres témoignages plus complets, plus actuels et plus pertinents vont venir…3 témoignages sur 5 émanent de Aides ! association qui s’est coupée des séropositifs pour ne faire que de la prévention et de la récup auprès de quelques exclus qui ne représentent en rien la communauté séropositive clandestine

    Mon témoignage sera court : je suis séropositif et mon partenaire ne l’est pas, nos rapports fréquents sont systématiquement sans préservatif. Pas de contamination après 4 ans de vie commune. Ca c’est pour le témoignage.

    Pour l’analyse :
    Il y a 2 manières de se libérer du préservatif : en partageant le risque d’être contaminé ( ça s’appelle le bareback ) , ou en étant libéré du risque de contamination ( grâce au traitement ).
    Il existe 2 catégories de personnes définitivement libérées du préservatif : les couples fidèles, et les séropositifs en charge virale faible.
    Dans un rapport à risque,pour un gay, le partenaire sûr n’est pas le “conjoint” séronégatif qui peut devenir séropositif et être très contaminant les 6 premiers mois suivant la séroconversion, c’est le séropositif soigné depuis 6 mois en charge virale faible.

    Commentaire sur le titre :
    “les gays ne veulent plus être prisonniers du préservatif”.
    Il est déjà honnête de reconnaître que le préservatif est une prison. = La formulation “veulent” être prisonnier est intéressante.
    Ne veulent “plus” : la formulation est mauvaise car elle oculte complètement le passé : de nombreux gays n’ont jamais mis de préservatif même au plus fort du sida. Les témoignages que vous ne citez pas à ce sujet ont été systématiquement censurés par le passé, le travail du journaliste est de remonter à la source complète des témoignages au delà de ceux qui sont facilement accessibles mais très incomplets.

    Ne veulent “plus” : ce “ne plus” suggère une rupture : que s’est-il donc passé ?

  9. @Jean-Christophe : Puisque vous avez l’air d’en savoir tant sur le métier de journaliste, faites-le et publiez vos articles. C’est tellement facile de critiquer le travail des autres ou de cracher dessus (vous utilisez le terme de “commenter”, c’est tellement plus propre les euphémismes)… Si vous saviez ce qu’est vraiment ce métier, vous ne diriez pas que l’essentiel n’est pas de dire la vérité. C’est hallucinant.

  10. En lisant les commentaires, je suis plus qu’étonné que certains affirment qu’en étant traité (depuis 6mois avec une charge virale indétectable) les personnes séropositives ne sont plus contaminantes.

    D’abord, il faut se rappeler qu’une charge virale indétectable (<=20 copies de virus par ml de sang) n'est pas une charge inexistante, c'est juste que les tests ne sont pas suffisamment précis pour détecter un taux inférieur à 20 copies/ml.

    On pourra toujours me répondre qu'à ce niveau la charge n'est plus assez élevée pour représenter un risque.
    Certes, mais il ne faut pas oublier que la charge évolue en permanence.
    Déjà en étant contrôlé tous les trois mois, on peut se rendre compte que la charge peut évoluer entre indétectable (<=20 copies/ml) à +50 ou +100 copies/ml.
    alors pendant un trimestre, la charge peut évoluer jusqu'à atteindre un seuil de contamination potentielle (typiquement , oubli de prise de traitement pendant quelques jours), avant de redescendre au moment du test trimestriel.

    en fait ce qui me dérange le plus dans ces témoignages, c'est que si les gens veulent baiser sans capote c'est leur problème, ils font bien ce qu'ils veulent avec leur corps.

    Par contre, les conséquences de leurs actes sont de la responsabilité de tous.
    – pour ceux qui se savent séropositifs, baiser sans capote, sans informer l'autre , c'est lui cacher les risques qu'il prend, certes chacun est responsable de sa propre politique de prévention, mais baiser sans capote et sans le dire à son partenaire, c'est ne pas lui laisser le choix. alors s'il y a une contamination à la clé, comment peuvent-ils esquiver la responsabilité de la contamination ? et de l'entretien de la pandémie ?

    – pour ceux qui baise sans capote en étant (pour l'instant, car ce n'est qu'une question de temps) séronégatif, assumer le risque de la séropositivité, c'est votre choix, mais quand celle-ci surviendra (100 partenaires par an, à ce rythme statistiquement, c'est une question de deux ou trois ans), vous ferez payer les conséquences de votre choix à la société. Un traitement (type atripla pour le plus simple et un des moins chers) c'est 800EUR par mois, plus les contrôles trimestriels etc. C'est donc la collectivité qui prend en charge les conséquences d'un choix individuel. Se dire que c'est pas grave de se faire contaminer parce que de toute façon la sécurité sociale paiera (ALD 100%) , est-ce une manière responsable de vivre en collectivité ? N'est-ce pas l'argument rêvé qu'attend un certain parti politique pour justifier que les malades payent leurs traitements ? et réduire le coût de la sécurité sociale sur le dos des malades ?

    Je n'ai pas de réponses toute faites à ces questions, mais baiser avec ou sans capote, en étant homo sur paris (prévalence du VIH dans la population gay parisienne de l'ordre de 15 à 20% …) ce n'est pas juste une question de choix personnel. Ca vous engage aussi (et malheureusement) au niveau de la collectivité.

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