La Hongrie se bordurise

La nouvelle constitution hongroise fait prendre un virage autoritaire au pays qui ressemble de plus en plus à la Bordurie de Tintin.

A chaque nouvelle année son lot de hausses des prix, de révisions de taux d’intérêts et d’applications de textes législatifs au-premier-janvier. Parmi la fournée de 2012, il y en a une qui est très commentée: la nouvelle constitution hongroise ainsi que le chapelet de lois qui l’accompagne. Des dispositions, dont certaines ne pourront plus être modifiées qu’avec l’approbation des deux-tiers du Parlement, qui font prendre un virage autoritaire au pays. Au point que certains s’émeuvent de voir la démocratie mise à mal en Hongrie.

Un régime despotique au centre de l’Europe, ça ne vous fait penser à rien? Moi si: à la Bordurie, le pays imaginaire créé par Hergé dans les aventures de Tintin. Évocation d’état fasciste puis stalinien au fil des albums, la Bordurie reste, à mes yeux de lectrice de bandes-dessinées, l’archétype du pays autoritaire d’Europe centrale. Au point que je ne peux m’empêcher d’y penser quand j’entends aujourd’hui parler de la Hongrie. Après tout, The Economist avait bien fait le postulat de l’existence de la Bordurie il y a peu. Et l’avait d’ailleurs positionné… à la frontière avec la Hongrie.

Petite revue comparée des nouveaux textes de lois hongrois et de ce qu’on peut déduire de l’oeuvre d’Hergé concernant les Bordures…

Des régimes autoritaires et nationalistes
L’affrontement entre la Syldavie et la Bordurie dans Tintin marque assez bien les divisions au temps du mur entre deux pays anciennement unis, d’un côté l’Autriche, de l’autre la Hongrie. La Syldavie serait restée du côté des pays dits “libres” tandis que la Bordurie ferait partie du bloc de l’Est, sous une dictature  qui règne en maître depuis la capitale Szohôd (pour l’anecdote le fait de mettre des accents circonflexes partout fait dire à certains que Hergé a voulu que la langue bordure ressemble au magyar). Avec tout le folklore qui sied aux dictatures d’Europe de l’Est…

Les agents des services secrets sont en permanence dans la rue, à vouloir contrôler tout le monde, notamment à la sortie de l’opéra. Heureusement nous nous sommes pas là encore du côté de Budapest, mais les possibilités de répression de la population civile augmente: une loi rend les sans-abri éventuellement passibles de peines de prison. Depuis septembre, certains bénéficiaires des allocations chômages, en majorité des Roms, sont obligés de travailler sur des chantiers publics, ce qui rappellent des camps de travail de triste mémoire. Selon Sandor Szöke, qui dirige le “Mouvement des droits civiques hongrois”, les personnes visées “nettoient un terrain boisé en vue de la construction de résidences pour la classe aisée. Les outils semblent tout droit sortis du XIXème siècle: on travaille à la faucille ! Il n’y a rien à disposition : pas d’eau, pas de toilettes, pas d’abri contre le soleil, pas de protection contre les guêpes… C’est humiliant.” En Bordurie, on ne sait pas comment a été construit le complexe militaro-scientifique où doit être enfermé Tournesol, mais on imagine bien le même genre de procédé.

On pourra s’émouvoir aussi de la suppression de l’appellation “République de Hongrie” au profit de la seule “Hongrie” dans la nouvelle constitution, ce qui n’est pas franchement un bon signe pour démocratie. Ou encore du regroupement des radios, télévisions et agence de presse nationale en une seule entité supervisée par un Conseil des médias dirigé par une proche du Premier ministre Viktor Orban. Ou du retrait de la fréquence de Klubradio, l’unique radio d’opposition du pays. Ce n’est pas encore le régime de parti unique, sans contestation, à la Bordure, mais on s’en approche peu à peu…

La Bordurie à la marge de la Hongrie
Car il y a tout de même quelques différences entre la Bordurie et la Hongrie. La nouvelle Hongrie est anticommuniste et religieuse, alors que la Bordurie est stalinienne. Mais la Bordurie a aussi été fasciste fin années 1930. Comme la Hongrie de l’époque! Comme Hergé est mort, il n’y aura malheureusement plus de mise à jour du système politique à Szohôd, mais on peut très bien imaginer qu’il l’aurait fait évoluer pour ressembler à celui de Budapest aujourd’hui..

Autre différence, la Bordurie est un Etat impérialiste, qui intervient par exemple directement au San Théodoros, ce qui n’est pas le cas de la Hongrie, qui aurait plutôt tendance à vouloir se replier sur elle-même. Un repli qui pourrait toutefois déstabiliser ses voisins… La volonté de donner ainsi le droit de vote aux étrangers d’origine hongroise vivant hors du pays n’est pas anodine dans un contexte de tensions récurrente entre Belgrade, Budapest, et la communauté magyare de Voïvodine. On voudrait alimenter des tensions séparatistes, on ne s’y prendrait pas mieux.

Rien à voir, toutefois, avec la haine que voue la Bordurie à son rival historique la Syldavie. La Hongrie n’est pas un Etat militaire et il n’y a pas de bruits de bottes à la frontière autrichienne ou serbe. Ce qui importe la Hongrie d’Orban, ce n’est pas de récupérer un sceptre doré chez ses voisins mais de couper peu à peu les ponts avec l’Union européenne C’est pourquoi le forint est devenu constitutionnellement la devise nationale pour rendre une adoption de l’euro plus difficile : elle nécessitera une révision de la constitution aux deux tiers des voix du parlement. Mais il ne s’agit pas d’envahir ses voisins.

Surtout, quand bien même Viktor Orban menace la démocratie dans son pays, la Hongrie n’est pas devenue une dictature, encore moins un état totalitaire façon bordure. Il n’y a pas de statue du Maréchal Orban sur la place Orban à Budapest, et on ne doit pas saluer d’un vigoureux “Amaïh Orban” ses interlocuteurs. Et la coupe de cheveux du premier ministre Hongrois n’a pas encore inspiré les capotes de voitures comme la moustache de Plekszy-Gladz les pare-chocs. Mais c’est bien pour éviter que cela se produise, pour servir de repoussoir, qu’existent les dictatures de fiction telles que la Bordurie d’Hergé..

Laureline Karaboudjan

Illustrations: extraits du Sceptre d’Ottokar et de l’Affaire Tournesol, DR.

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