Google déclare-t-il la guerre à la Chine?

Mardi soir, le tout-puissant Google, juché sur son trône de premier moteur de recherche mondial, a attaqué le pouvoir chinois au trébuchet. Comprendre, là où ça lui fait mal: les droits de l’homme. Sur le blog de la firme, David Drummond, vice-président et directeur juridique, a annoncé une «nouvelle approche» vis-à-vis de Pékin, sans écarter la possibilité d’un retrait pur et simple. Vous trouvez ça louche?

Pour le blogueur américain Robert Scoble, la décision de Google pourrait être le plus gros coup de tonnerre high-tech depuis des décennies». Ma première réaction, après la surprise, serait de me réjouir de cette — bonne — nouvelle. Elle l’est d’autant plus qu’il ne s’agit visiblement pas d’un effet d’annonce. Aux première heures de mercredi, vers 1h15, les filtres de Google.cn ont commencé à sauter, sur les mots saisis en anglais. Ainsi, si vous tapez «Tian an men» dans le moteur de recherche, voici les photos que vous pourrez trouver. Face à cette initiative pour le moins inattendue, la réponse de Pékin ne saurait tarder.

Alors, pourquoi cette annonce? Pourquoi maintenant? Tout semble commencer mi-décembre. L’entreprise californienne aurait été victime d’une attaque ciblée perpétrée par des hackers chinois, qui auraient «volé la propriété intellectuelle de Google» en s’infiltrant dans les comptes Gmail de militants des droits de l’homme. L’épisode, qui a affecté une vingtaine d’autres compagnies, n’est pas inédit en soi. Loic H. Rechi le titrait récemment sur Slate.fr, «les hackers nationalistes passent à l’attaque». Depuis l’épisode Ghostnet, cette gigantesque cyberattaque chinoise mise au jour en mars 2009, «[ils] sont devenus des agents incontournables dans la danse politique et géopolitique internationale».

En lançant sa version chinoise en 2006, Google avait consenti à d’importants compromis. Pour s’implanter durablement sur un marché en pleine expansion, l’entreprise avait signé un «code de bonne conduite», dans lequel elle s’engageait (tout comme Yahoo! et Microsoft) à respecter les exigences numériques de Pékin. Selon les chiffres du cabinet d’études Analysis International publiés fin 2009, Baidu, le leader local, mènerait toujours la danse, en accaparant 64% des parts de marché, contre 31,3% à la firme de Redmond.

La neutralité du réseau, où ça?

Vous pourrez me taxer de paranoïa, ou trouver le procédé capillotracté, mais laissez-moi vous rappeler que quelques heures à peine avant l’annonce de Google, Baidu était justement la cible d’une attaque informatique, revendiquée par une mystérieuse «cyberarmée iranienne». En décembre, le même groupuscule avait brièvement revendiqué l’attaque de Twitter, «en réaction à l’intervention des autorités américaines dans les affaires intérieures de l’Iran». Si vous suivez ce que j’ai pu écrire sur les initiatives Internet du régime de Téhéran, vous serez peut-être d’accord avec moi : les malveillants qui ont piraté Baidu semblent faire partie de cette nouvelle congrégation des «hackers nationalistes», discrètement cooptés par les autorités de leur pays.

Pour qui connaît un peu les implications géopolitiques entre la Chine et l’Iran, un détail cloche dans cette version. En visant Baidu, ces “pasdaran virtuels” s’en prennent à Pékin… L’un de rares soutiens de Mahmoud Ahmadinejad. Selon certaines sources, cette fameuse cyberarmée aurait voulu punir les dissidents chinois pour leur soutien au mouvement de contestation iranien. Dans ce cas, pourquoi s’en prendre au premier moteur de recherche du pays, inféodé au pouvoir central – et qui filtre déjà ses contenus? Pour certains experts informatiques, les enjeux pourraient être plus vastes. L’un d’entre eux avance même que l’opération aurait été menée depuis une adresse IP américaine.

De là à parler de Googlegate, il y a un pas – conséquent – que je ne franchirai pas. Pourquoi? Parce que l’argument économique prévaut sur le jeu d’échecs international. Sur Neteffect, Evgeny Morozov affiche un scepticisme  pragmatique : “Google a terriblement besoin de retours positifs pour améliorer une image qui se détériore (notamment en Europe, où le débat sur la vie privée résonne chaque jour un peu plus fort), écrit-il. Google.cn est l’animal à sacrifier, celui qui donnera à l’entreprise des titres positifs et enrayera des pertes dévastatrices”.  Ces supputations sont corroborées par le Telegraph. Citant des sources chinoises et internes, Malcolm Moore écrit que le mastodonte américain a «déjà coupé les ponts», en réalisant qu’il ne pourrait pas s’imposer comme le numéro 1 de l’Internet dans l’Empire du Milieu.

Depuis des années, Google répète à l’envi sa noblesse d’esprit, jusqu’à en faire son slogan: «Don’t be evil» («Ne soyez pas méchants»). Pour ses dirigeants, ce jansénisme vertueux est conditionné par la neutralité du réseau. Pas plus tard qu’au mois de décembre, l’un d’entre eux rappelait la nécessité de ne pas discriminer les sources sur le blog officiel de l’entreprise. «[Les fournisseurs d’accès à Internet] ne devraient pas être capables d’actionner unilatéralement des leviers pour contrôler les connexions des internautes», écrivait Richard Whitt. Sans me faire l’avocat de la Chine, c’est précisément ce que les ingénieurs de la boîte californienne sont en train de faire.

En attendant de nouveaux éclaircissements, messieurs de Google, laissez-moi vous poser cette question: vous avez vraiment mis quatre ans à réaliser que vous étiez en Chine?

Olivier Tesquet

(Photo : CC @mark knol)

6 commentaires pour “Google déclare-t-il la guerre à la Chine?”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Slate.fr, Olivier Tesquet. Olivier Tesquet a dit: [Blog] Google déclare-t-il (vraiment) la guerre à la Chine? http://j.mp/4KJpMh […]

  2. google quitter le marché chinois?…ça me semblerait peu probable.
    Même si google ne peut s’imposer comme n°1 des moteurs de recherche, même si elle n’a que 30% du marché chinois, il s’agit tout de même déjà sûrement de plusieurs centaines de millions d’internautes….soit un maché publicitaire conséquent…et google est une entreprise commerciale dont l’objectif est de faire de l’argent…laisserait-elle une telle part de gateau à d’autres? Elle proteste véhément contre l’attaque dont elle a été la cible, histoire de montrer qu’elle ne se laisse pas faire, mais ça n’ira pas plus loin selon moi.

  3. […] vous avez peut-être appris le nouveau partenariat entre Google et la NSA. A la suite de l’incident chinois de mois de janvier, l’entreprise californienne et les services très secrets du gouvernement […]

  4. […] 2009 Vous avez peut-être appris le nouveau partenariat entre Google et la NSA. A la suite de l’incident chinois de mois de janvier, l’entreprise californienne et les services très secrets du gouvernement vont […]

  5. […] On vous a suffisamment seriné la devise «Don’t be evil» (ne soyez pas malveillants) et la crise chinoise. Récemment, Farhad Manjoo, le chroniqueur high-tech de Slate.com, se demandait même si la firme […]

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