Pas besoin d’avoir une cuisine pour cuisiner

Ou l’art de la cuisine guérilla…

Quand j’étais en CE2 (3d grade aux Etats-Unis, NDLE), nous devions choisir chaque soir un mot nouveau dans le dictionnaire et recopier sa définition. Un jour, le gamin à côté de moi a oublié de faire ses devoirs. Alors que l’institutrice passait dans les rangs pour lire à haute voix nos trouvailles du jour, il m’a emprunté mon dico et a gribouillé quelque chose sur son cahier.

«Cuisiner: préparer les aliments au moyen de la chaleur», a lu l’institutrice.

Je ne me rappelle aucun autre mot de vocabulaire appris cette année-là, mais je me souviens très bien de cet incident: le dico de poche, le nom et le visage de mon camarade de classe (qui déménagea l’été suivant), le regard réprobateur de l’institutrice. Je me souviens m’être demandé pourquoi les auteurs des dictionnaires s’embêtaient avec des mots aussi banals que «cuisiner». Tout le monde savait ce que cela voulait dire. À quoi bon gâcher de l’encre?

Pourtant, cette définition a marqué mon esprit, parce qu’elle rappelle l’essence même de cette activité qui peut vite devenir complexe.

Cuisiner = aliments + source de chaleur

Aucune référence aux acides aminés ou aux Amap. Rien sur les couteaux en céramique et les machines à pain.

Tout comme on peut dormir n’importe où…

Surtout, rien sur la nécessité d’une cuisine. Les cuisines sont, il est vrai, des endroits fort pratiques pour cuisiner, comme les lits sont de super endroits pour dormir. Mais tout comme on peut dormir n’importe où quand le besoin s’en fait sentir, on peut cuisiner n’importe où dès qu’on a l’essentiel, à savoir des ingrédients et une source de chaleur. Je peux cuisiner du riz pilaf, des légumes sautés ou des tacos n’importe où, n’importe quand. J’appelle ça «la cuisine guérilla».

Tout a commencé au boulot. Le midi, en semaine, c’est tout aussi déprimant de se retrouver dans la cuisine de sa boîte (si on peut appeler ça une cuisine) que dans une morgue ou un faux pub irlandais. En général, elle n’a pas de fenêtre, elle est crade et elle pue le vieux fromage réchauffé au micro-ondes. Elle a aussi un petit côté ségrégation sociale, vu que ce sont surtout les employés qui l’utilisent, tandis que les cadres se goinfrent au resto aux frais de l’entreprise.

Mais comment leur en vouloir? Rien de mangeable n’est jamais sorti de la cuisine d’un bureau. Ce sont soit des plats congelés, soit des restes de la veille, enterrés dans une boîte en plastique et ressuscités au micro-ondes. Avec un peu de chance, on peut grappiller un cookie rassis que la famille d’un collègue aura dédaigné la veille.

Dans ma boîte, ce n’était pas facile d’aller s’acheter à manger à l’extérieur, alors j’ai dû improviser. Au début, je me suis contenté d’utiliser une poêle bon marché et une plaque électrique que je branchais sous mon bureau. (Ne vous en faites pas, il en faut plus que ça pour faire sauter le disjoncteur d’une entreprise).

J’ai aussi fait quelques tentatives avec un appareil à fondue, qui m’apportait en même temps la source de chaleur et la marmite. Il était sûrement interdit de cuisiner dans son bureau (si tant est que les automates des Ressources Humaines aient songé à cette éventualité), mais personne ne s’est jamais rendu compte de rien. Je fermais la porte, et mon bureau s’emplissait de la délicieuse odeur de l’ail sauté et de la coriandre hachée.

Une plaque branchée sous le bureau

Les frais d’entrée pour la cuisine guérilla sont faibles. Une plaque électrique convenable coûte moins de 20 dollars (15 euros) et un bon appareil à fondue moins de 50 (40 euros). Il vaut mieux investir dans des poêles et casseroles anti-adhésives, parce que sinon, on se retrouve à devoir les laisser tremper dans l’évier de la cuisine commune, et forcément, ça débouche sur des questions gênantes. (Quand mes collègues découvrent que je cuisine dans mon bureau, j’ai en général droit à un regard condescendant, un froncement de sourcils et un: «Tu m’en diras tant!»)

Pour la nourriture, je vous suggère de conserver de petites portions de vos ingrédients de base dans une boîte. Huile d’olive, condiments et bouillons cubes servent toujours, mais à vous de vous faire votre propre sélection d’épices et d’herbes. Rangez cette boîte dans un tiroir de votre bureau, et refaites le plein chez vous de temps en temps, ou bien utilisez une trousse de toilette que vous rapporterez tous les soirs.

Le secret: la préparation

Le secret de la cuisine guérilla, c’est la préparation. Je vous conseille de tout découper chez vous. Le couscous pilaf est un plat parfait pour les débutants, parce qu’il n’y a pas besoin de surveiller la cuisson.

Chez vous, découpez assez d’oignons, de carottes, de céleri en branche et de chou-fleur pour obtenir 400 grammes de légumes en dés.

Conservez-les dans un sachet refermable.

Dans un deuxième sachet, placez 200 grammes de graines de couscous et une cuillérée à soupe de paprika, et dans un troisième, 150 grammes d’amandes, de noix ou de noix de cajou grillées et hachées.

L’assemblage in situ est simple. Faites sauter les légumes. Ajoutez le couscous et le paprika et faites cuire pendant environ une minute en remuant.

Ajoutez 25 cl d’eau, du sel, un bouillon cube, et portez à ébullition.

Couvrez, retirez la poêle du feu et laissez reposer 5 minutes.

Incorporez les amandes ou les noix.

Et voilà! Un bon petit plat préparé derrière la porte de votre bureau.

Ensuite, vous êtes lancé. Viande et légumes sautés, soupes, frittatas et quesadillas semblent tomber sous le sens, mais soyez créatifs. L’idée, c’est de repousser les limites.

Inutile d’avoir un four pour faire du pain, des biscuits ou une pizza une fois qu’on maîtrise parfaitement sa plaque électrique. Trouvez des recettes appétissantes sur Internet et adaptez-les à votre installation rudimentaire.

Ou alors cherchez des recettes spécial camping et améliorez-les avec des produits de luxe comme un bon vin blanc ou un bon fromage, ce qu’on n’a pas forcément sous la main quand on randonne.

Même sans électricité

Une fois votre génie culinaire libéré, vous pourrez emporter votre cuisine portable partout. Offrez-vous un réchaud de camping et allez cuisinez dans le square en face de votre bureau, ou sur le toit. Si vous n’avez pas les moyens d’investir dans un réchaud du commerce, bricolez-en à partir d’un brûleur à alcool.

Il y a plein de modes d’emploi sur Internet, mais le plus simple, c’est encore de remplir une boîte de thon de perlite et d’alcool à brûler, puis de la recouvrir d’un tamis en aluminium. (Tous ces produits sont disponibles en quincaillerie.) N’oubliez pas que la flamme n’est pas protégée, alors prenez vos précautions. Si vous cuisinez à l’intérieur, pensez à bien aérer ou procurez-vous un détecteur de monoxyde de carbone.

Cela semble peut-être compliqué, mais ça ne l’est pas. Mon réchaud à alcool bricolé tient dans une casserole ultra-légère et ne pèse même pas 170 grammes. Et ne tenez pas compte des critiques de vos collègues. Ils ne connaissent rien à la cuisine. «Aliments + chaleur», c’est pourtant simple.

Brian Palmer

Traduit par Florence Curet

Photo: Time to cook / Robbert van der Steeg via FlickrCC License by

4 commentaires pour “Pas besoin d’avoir une cuisine pour cuisiner”

  1. J’adore cet état d’esprit! 🙂 Vive la bonne bouffe, n’importe oû, n’importe quand!

  2. Et, par malheur, quelqu’un inventa l’open space.

  3. Ouah, en tout cas il faut en avoir pour oser la guerilla Kitchen! Félicitations, il fallait oser cuisiner sans cuisine. Je compte m’y mettre très prochainement. 😉 Bonne App’ !

  4. Ou sinon, on peut juste en faire deux fois plus le soir, comme ça on emporte le reste dans une gamelle le lendemain et on rechauffe au micro onde.

    C’est bien plus pratique.

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