Jean-Pierre Coffe a-t-il sauvé le resto universitaire?

Jean-Pierre Coffe, chroniqueur gastronomique et chantre de la bonne bouffe, s’est penché en 2010 sur la restauration universitaire. Pour la sauver?

Lui et son compère Jean-Robert Pitte, géographe spécialiste de la gastronomie et ex-président de l’université Paris IV ont fait un tour de France des RU, englouti des tonnes de carottes râpées, de steaks sauce au poivre et de Flamby®, en prenant un tas de notes. Le résultat: un rapport remis en mars 2010 à Valérie Pécresse, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Le document, intitulé «Améliorer la restauration universitaire », propose huit «suggestions»: aménager les marchés publics, poursuivre l’amélioration de la qualité culinaire, éduquer les étudiants au bien manger (diététique, goût), réformer la politique tarifaire, réduire les files d’attente, créer des boutiques de proximité, favoriser les animations, et enfin nommer un chargé de mission qualité.

Le rapport Coffe a été un point de départ, même s’il n’a pas été appliqué à la lettre, d’autant plus que toutes les propositions n’ont pas été officiellement retenues par la ministre. Voyons comment ces suggestions ont été traitées, ou mises à la trappe.

Chacun son CROUS

Clémence, étudiante en pharmacie à Grenoble, ne voit pas ce qui a changé: «Ce sont toujours les mêmes menus. Pas pire, pas mieux!». Emeric, étudiant à Sciences Po Paris, ne voit pas non plus de bouleversements dans les derniers mois: «Peut-être de nouvelles sortes de sandwichs dans notre cafétéria? Et l’apparition des boîtes de pâtes à réchauffer, pas forcément savoureuses. A part ça, je ne vois pas».

En fait, un an et demi après ce rapport, les progrès dépendent fortement du lieu d’étude observé. Il existe de fortes disparités entre les RU: ceux-ci sont gérés par les CROUS (Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, un réseau de 29 établissements publics) chapeautés par le CNOUS (Centre national des œuvres universitaires et scolaires). Les CROUS sont financés par l’Etat et par leurs fonds propres.

Ce qui ne change pas, c’est le prix d’un ticket de RU, 3,05 euros pour l’année 2011-2012. Dominique Francon, conseiller restauration du directeur du CNOUS, explique les disparités entre les villes:  

«Les différents RU ne s’approvisionnent pas de la même façon et aux mêmes endroits. Les équipes sont différentes, et les cuisines n’ont pas les mêmes équipements. Mais le budget n’est pas un facteur: à quelques centimes près, la valeur de l’assiette est la même dans tous les RU de France.»

Pas de tomates en hiver

Le grand chantier des CROUS ces derniers temps, c’est la remise à plat des politiques d’achat et le début d’une mutualisation. Ce qui correspond à la suggestion de Coffe d’«aménager les marchés publics».

Avant, chaque CROUS faisait des affaires dans son coin. Maintenant, les RU sont regroupés dans six inter-régions pour les achats de produits industrialisés. L’objectif? Faire des économies.

En parallèle, les achats infrarégionaux se développent, histoire d’acheter les produits frais de saison, et au plus près des producteurs. 400 restaurants universitaires travaillent ainsi en lien étroit avec les interprofessions de fruits et légumes.

Et dans l’assiette?

On imagine donc que si les produits frais et de saison remplacent les surgelés, le goût et la qualité nutritionnelle des platées de haricots et autres salsifis s’en voient améliorés. Pour Jean-Yves de Longueau, sous-directeur à l’égalité des chances et à la vie étudiante au ministère de l’Enseignement et de la Recherche, «la qualité culinaire est dans le contrat d’objectifs du CNOUS de fin 2010. Mais elle passe justement par cet aménagement des politiques d’achat, qui permettra d’acheter des fruits et légumes de meilleure qualité. Et puis les interventions de chefs de cuisine pour introduire plus de bio continuent. Tout ça dans le cadre du Plan national nutrition-santé (PNNS). Mais dans ce domaine, les contraintes de coûts restent importantes».

Quid du décret du 2 octobre sur «la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire», promettant moins de frites et de graillon? «Sur le plan juridique, il ne s’applique pas à la restauration universitaire», explique Jean-Yves de Longueau, «mais dans les faits, beaucoup de dispositions sont déjà appliquées, sauf par exemple sur les sauces et le sel qui sont toujours en libre-service, car on considère que les étudiants sont des adultes, libres de leurs choix».

Miam?

Après 3 heures à suer dans un amphi, avouons que certains menus de RU donnent plutôt faim: ce vendredi 23 septembre, on peut par exemple manger à Strasbourg des menus spéciaux «journées du patrimoine», navarin d’agneau et confit de légumes de fin d’été, ou cuisse de canette à l’orange et duo de brocoli. Quelques jours avant, un filet de lieu au curry et un risotto au lait de coco. Menus du monde, thématiques, salades-repas dans les cafét’… Les offres se diversifient en effet, mais toujours en fonction de la motivation et l’inspiration des équipes et du matériel à disposition.

Franck Dainotto, chef du RU Diderot sur le campus grenoblois, explique:  

«80% de nos hors d’œuvres sont maintenant réalisées avec des produits frais. Pour les plats chauds, la plupart des poissons sont frais. Mais on utilise encore beaucoup de surgelés, on ne peut pas y échapper.»

Des initiatives misent sur la formation des personnels pour améliorer le RU. Par exemple, au RU Diderot, 5 cuisiniers et seconds de cuisine ont eu droit ce printemps à une session «créativité culinaire», avec des thèmes tels que les produits de la mer, les aspects visuels et olfactifs des aliments etc.

Le chef Franck Dainotto raconte en effet que son équipe «a fait de gros efforts sur la présentation des entrées et des desserts. Les étudiants sont très demandeurs d’un aspect visuel agréable. Nous avons même investi dans de la nouvelle vaisselle, qui change de la vaisselle traditionnelle de la restauration collective. Cela joue beaucoup dans la qualité de l’offre et nous avons de bons retours».

En tout état de cause, les «Panels de RU» menés par le CNOUS (et publiés chaque année dans le rapport d’activité) montrent que les étudiants sont plutôt contents du contenu de leurs assiettes: en mars 2010, 53,8% des étudiants interrogés sont satisfaits des plats servis, et 13,69% très satisfaits. Reste à attendre la publication des chiffres de 2011 pour observer les évolutions.

Plus d’éducation pour moins de malbouffe

D’après l’Enquête conditions de vie 2010 de l’Observatoire de la vie étudiante, 62,4% des étudiants ont le sentiment d’avoir une alimentation équilibrée. Et donc 37,6% pas équilibrée.

Même si les Restos U proposent en général des menus équilibrés, les cafétérias et sandwicheries du CROUS offrent hamburgers, sandwichs bien garnis et autres amis de la junk food à prix compétitifs. Or, les étudiants sont des adultes libres de choisir leur chère.

Encore faut-il qu’ils aient envie de manger bon et équilibré! Une des priorités retenues par le ministère de l’Enseignement au printemps 2010 était bien l’implication des étudiants, pour mieux les éduquer.

Toujours pareil, depuis, pas de plan d’envergure nationale mais des initiatives ponctuelles et localisées. Par exemple «Toquissimes», à Nice, manifestation destinée à s’étendre à d’autres académies:  des grands chefs viennent préparer des menus gastronomiques dans les cuisines des RU. De quoi apprendre à savourer les bonnes choses bien préparées.

Le CROUS de Toulouse a lui lancé en mars 2011 une «Opération Campus gourmand» pour montrer qu’un panier de légumes coûte trois francs six sous et surtout que l’on peut manger équilibré au RU. Dans de nombreux CROUS, les étudiants peuvent participer aux «commissions menus», où on leur explique comment fonctionne le RU, et où ils donnent des avis, critiques, idées d’animations, et même des recettes.

Chacun son rythme

Avaler un steak-frites en 5 minutes n’est pas vraiment la bonne manière de l’apprécier et d’en tirer les bienfaits nutritionnels. «Repenser les rythmes étudiants» était l’un des axes du rapport retenus par le ministère. Il suffit de se rendre dans un RU un mardi à 12h05 pour en comprendre la nécessité: les files d’attentes sont interminables et des salles remplies à ras bord d’étudiants affamés.

Ludivine Labbé, responsable chargée des questions de la restauration universitaire au bureau national de l’UNEF (Union nationale des étudiants de France) raconte: «beaucoup de RU ont été rénovés – même si certains sont à la traîne comme au Mirail», ce qui aide à diversifier les offres et surtout à accueillir plus de monde, plus rapidement. Mais «le temps de restauration est trop court. La vraie pause repas n’est pas respectée!».

Sur le terrain, Naji Cherra, responsable restauration du site cœur du campus de Saint Martin d’Hères affirme qu’il «faut apprécier les prestations dans de bonne conditions. Avaler un repas en 10 minutes ne permet pas d’apprécier les efforts de nos cuisiniers! Mais il est encore difficile de négocier avec chaque UFR (Unité de Formation et de Recherche)».

Pour Dominique Francon, conseiller restauration du directeur du CNOUS, «le lundi et le vendredi sont de très petites journées, les autres jours il y a trop de monde. Un RU ne peut pas accueillir 1000 personnes en 3 minutes! Mais les emplois du temps des facs ne dépendent pas de nous. Toutefois, nous y travaillons, avec la Conférence des présidents d’université».

Notons cependant que le développement de la carte Monéo pour payer les repas permet de gagner un peu de temps dans les files d’attentes. En 2010, l’utilisation de ces «porte-monnaie électroniques» a augmenté de 20% dans les RU.

Outre le problème temporel, un souci géographique. Jean-Yves de Longueau déplore que beaucoup d’étudiants n’aillent jamais au RU (9,54% y vont moins d’une fois par semaine en 2010). Selon lui, «pour que les étudiants fréquentent plus le RU, il faudrait travailler à harmoniser la carte des RU avec la carte des implantations universitaires». Histoire, en effet, de ne pas marcher 3 km pour une purée-poisson pané.

Toujours pas de pinard pour les thésards

Coffe avait (malicieusement?) suggéré dans son rapport de 2010 d’introduire un peu de vin dans les RU, pour apprendre à l’apprécier comme «un enrichissement de la culture gustative des étudiants». Valérie Pécresse avait d’emblée affirmé son opposition à cette proposition. Le MET (Mouvement des étudiants, syndicat de droite issu de la réorganisation de l’UNI) de Bourgogne a relancé cette idée au printemps 2011, en lançant une pétition pour l’autorisation d’un petit verre de rouge au RU. Demande qui est restée lettre morte pour le moment…

Un prix qui fait mouche

Jean-Pierre Coffe proposait de «moduler les tarifs en fonction des revenus des étudiants et de leur familles», en conservant le tarif social pour les boursiers, et en faisant payer 5 euros aux autres, dans le but d’améliorer la qualité du service, de la nourriture, des animations etc. Pour Jean-Yves de Longueau, sous directeur à l’égalité des chances et à la vie étudiante au ministère de l’Enseignement, pas question:

«Si on augmente les prix pour une partie des étudiants, le CROUS perdra beaucoup de sa compétitivité sur certains sites.»

En fait, l’augmentation pour tous de quelques centimes chaque année pose aussi problème.

Ludivine Labbé de l’UNEF explique que «le rapport de Coffe et Pitte ne prend pas en compte la précarité des étudiants. L’UNEF s’est battu pour le gel du tarif d’un ticket de resto U, qui a cependant encore augmenté cette année. Cela devrait rester un tarif social».

D’un autre bord syndical, Samuel Lafont, est élu au CROUS de Paris pour le MET: «ce que l’on demande encore, c’est un ticket Restauration étudiante, valable dans la restauration publique et privée, mieux adapté aux besoins des étudiants».

Coffe évoquait enfin la création de «boutiques de proximité» proposant des denrées de qualité à des prix abordables. Car peu d’étudiants dînent au RU le soir, et certains sont obligés de s’approvisionner à la station-essence la plus proche, comme les habitants du campus Rangueil, à Toulouse. Pour l’instant, seuls deux projets sont en cours d’étude, à Toulouse et à Rennes.

Sortir du cycle carbo-McDo

Alors maintenant, comment les Restos U comptent continuer à améliorer l’offre alimentaire? Le «Projet 2010-2013 des œuvres universitaires » évoque l’avenir.

Il s’agirait de «mieux prendre en compte la diversité des publics pour la définition des politiques tarifaires», d’«investir tous les segments de la restauration collective (du plateau à la distribution collective)», mais aussi de réaliser des études de marchés pour «optimiser l’adéquation offre/attentes».

Mais l’enjeu pour les CROUS est aussi d’améliorer l’alimentation des étudiants en dehors des RU. Dominique Francon, conseiller restauration du directeur du CNOUS, explique:

«Beaucoup d’étudiants mangent mal par manque d’information! Alors nous avons mis en place des cours de cuisine, avec un équipement standard, où les étudiants apprennent à composer un menu, faire des courses, stocker les produits. Les premières expériences vont s’étendre à d’autres régions.»

Citons en outre l’exemple de Toulouse, où des étudiants d’une école de commerce ont mis en place en mars des cours (pour des plats sans four, équilibrés et pas chers) dispensés par 3 chefs du CROUS:  en participant à ce projet intitulé Sup de Cook, les étudiants sont censés pouvoir ensuite reproduire les recettes chez eux sans problème. Tout ça pour que, dans la mesure du possible, les améliorations du RU ne soient pas contrebalancées le soir par un cycle infernal pâtes carbo, kébab, Mc Do.

Lucie de la Héronnière

Photo: Lunch Break / besighyawn via Flickr CC License By

3 commentaires pour “Jean-Pierre Coffe a-t-il sauvé le resto universitaire?”

  1. Les RU c’est pratique quand t’as le temps et l’argent, voilà deux ans que je suis étudiant à grenoble et la plupart du temps la queue est trop longue, et puis si c’est pour manger des frites ça vaut pas le coup, heureusement que des cafets sont dispersées un peu partout sur le campus, ou tu peux prendre des repas à emporter. Ce qui arrive plus souvent est que je ne mange plus les midis, je prend un bon petit déjeuner, et le dîner vers 20h. Et quand j’ai faim pendant la journée je mange un fruit (malgré ce qu’on dit les fruits et légumes frais achetés en grande surface ne sont pas chers) Les 3 repas hebdomadaires sont culturels et pas indispensable.

  2. Pourquoi refuser le petit verre de rouge? (ou de blanc, au passage)
    Apprendre à boire un verre de vin pour accompagner ce que l’on mange est au contraire la meilleure garantie pour que les étudiants ne s’adonnent pas à l’alcoolisme, dans ces soirées où l’on boit n’importe quoi n’importe comment, du moment que cela saoule.

    A-t-on noté que c’est dans les régions où l’on a une consommation régulière de vin qu’il y a le moins d’alcoolisme, et le moins d’ivresse, alors que l'”arc alcoolique français” (Bretagne, Normandie, Picardie, Nord) est justement le coin de France où l’on ne produit pas de vin et où on en consomme moins qu’ailleurs?

  3. Bonjour,

    J’ai lu un article très intéressant sur le faite de manger des fruits et légumes et aussi des astuces diététiques. Si cela vous intéresse je vous mets le lien. Cela pourrait vous informer sur certaines choses 🙂

    https://www.medblog.be/fr/article/58-manger-comme-des-betes/

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