Qu’est-ce qui fait une cantine réussie?

Dans une cantine du 12e arrondissement parisien / Camille Bosqué.

 

Qu’est-ce qui fait que l’on mange bien dans une cantine scolaire, sur le plan du goût, de la nutrition, et de l’atmosphère? Cinq facteurs principaux très reliés les uns aux autres jouent:

1. L’engagement des élus

Marie-Line Huc du GEM-RCN parle d’une «petite révolution» quand elle évoque la nécessité pour les élus de «prendre conscience que faire des menus et servir des repas aux enfants demande des compétences»:

«Ils réagissent souvent en se disant que c’est simple puisque tous les jours on mange, et se disent qu’il suffit d’un peu de bon sens. Non, il faut un minimum de connaissance pour bien acheter les produits.»

Même si ce n’est pas «en étant cher qu’on a la garantie de faire bien», le budget reste important: elle déplore que trop de collectivités ne connaissent pas le coût moyen du repas à la cantine, et du coup ne sachent pas augmenter la qualité tout en faisant attention au budget.

Et le lien entre élus et budget est crucial, puisque ce sont eux qui décident pour quel type de restauration scolaire ils vont opter: quand, particulièrement dans les petites communes, il n’est plus possible de cuisiner dans les locaux actuels qui ne répondent plus aux normes, c’est un budget de décider d’investir dans une nouvelle cuisine plutôt que d’externaliser.

2. Les cuisiniers

Qui dit bons cuisiniers, et cuisiniers qui aiment être en restauration scolaire, dit à la fois attention aux produits et aux enfants.

Chef de la restauration à Bezons, Jean-Pierre Allo fait par exemple attention à préparer un menu sans porc aussi proche du menu avec porc que possible, «pour qu’il n’y ait pas trop de ségrégation entre les enfants»: rôti de dinde pour rôti de porc, chipolata sans porc pour chipolata avec, etc.

Des hommes et des femmes de qualité en cuisine vont à la fois chercher à faire découvrir des produits ou des saveurs aux enfants et à leur faire comprendre comment sont transformés leurs aliments, tout en prenant en compte leur public:

Une sculpture de fruits réalisée au collège Jean Le Fréron dans l’Oise, sur le blog tenu par son ancien chef, devenu depuis coordonateur des missions restauration pour le conseil général.

Afin d’amadouer le palais des enfants, Jean-Pierre Allo «améliore» le vrai goût des légumes verts: au lieu de les faire juste à la vapeur avec un peu de sel, il va faire fondre un peu de beurre, des oignons, une pointe d’ail et créer une sauce qui va améliorer le goût du choux de Bruxelles (ah, le choux de Bruxelles de la cantine…). La courgette est faite à la provençale ou en gratin, la purée de carotte, aux choux-fleurs ou au potiron est mélangée avec un peu de purée de pommes de terre, etc.

Dans les cantines qui fonctionnent avec des cuisines extérieures, les cuisiniers peuvent bien sûr également prêter attention aux enfants, mais il n’existe pas de lien direct avec eux.

Chacun a sa technique: Jean-Pierre Allo fait passer des questionnaires de satisfaction quotidiens, remplis par les personnels de cantine, et reçoit des classes de CM2 tout au long de l’année, qui viennent visiter la cuisine centrale et découvrir son fonctionnement.

Le directeur de la Caisse des écoles du 2e arrondissement de Paris essaye lui aussi de faire visiter la cuisine centrale aux enfants, histoire qu’ils «regardent, goûtent, et ça permet de voir que la cuisine n’est pas si catastrophique que ça». Mais l’initiative n’est prise qu’une fois tous les trois ans, et pour une seule classe. Des représentants des élèves sont quand même à la commission des menus, pour faire entendre leur avis.

Michèle Lecouple, qui cuisine pour les 55 enfants de Péault (520 habitants) en Vendée, travaille sur place. Elle utilise du frais (ou du surgelé pour les poissons), se fournit chez les agriculteurs du coin, et se débrouille seule pour tout: prévoir les menus, s’organiser avec les fournisseurs, faire la cuisine, et même l’animation en salle (où elle est quand même aidée par deux assistantes maternelles).

Les enfants récupèrent deux fois par semaine une fiche recette pour apprendre à faire eux-même l’entrée, le plat ou le dessert. Les «dames de la cantine» connaissent bien les enfants et les servent en fonction de leurs goûts et de leur appétit.

Elle aussi use de ruses, en coupant des aliments en tout petits morceaux pour que les enfants ne puissent pas trier, par exemple.

«La seule chose sur laquelle je n’ai pas trop insisté parce que j’ai pratiquement tout jeté, ce sont les poireaux. Mais je n’ai pas abandonné définitivement! Peut-être en quiche…»

3. Le travail fait avec les enfants sur le goût

La «circulaire des écoliers» (PDF) affirme l’importance de l’éducation nutritionnelle et l’éducation au goût des enfants, recommandant par exemple «d’utiliser le temps d’interclasse de midi pour organiser des ateliers d’expression artistiques et culturels consacrés à l’éducation du goût». Mais un fossé sépare les recommandations (qui ne sont absolument pas obligatoires) de la réalité.

Or cette éducation a un vrai rôle, puisque «certains enfants ne tournent que sur 5 ou 6 aliments chez eux», assure Carine Tontini, parent d’élève et déléguée FCPE dans le 20e arrondissement de Paris:

«Donc quand ils vont à la cantine et qu’il y a des crudités, des légumes, c’est impossible pour eux de manger un brocoli, des betteraves, des endives, ils ne l’ont jamais fait donc c’est toute une adaptation.»

Elle rappelle que lorsqu’elle demande aux enfants ce qu’ils aimeraient qu’on leur serve à la cantine, la réponse est pizza, raviolis, lasagnes… et de conclure:

«Si on fait de la cuisine 5 étoiles à des enfants, ça ne marche pas forcément. La volonté de bien faire doit être en accord avec le terrain, ne donner que des légumes et des fruits bio à des gosses qui n’en mangent jamais, ça ne marchera pas.»

La cuisinière de Péault Michèle Lecouple doit par exemple gérer une famille de trois enfants aux habitudes alimentaires un peu particulières:

«Aujourd’hui, j’ai fait du melon en entrée, du goulash de boeuf bio et des pommes de terres du coin, un petit-suisse et un gâteau à la poudre d’amande, ces trois enfants n’ont mangé que le petit-suisse et le gâteau.»

Le goulash de boeuf bio de Michèle Lecouple, recette ici!

Elle souligne que dans ce cas, comme dans d’autres, «il faut que les parents y mettent du leur aussi», puisque ces enfants ne sont pas habitués à mâcher de la viande, et que certains d’entre eux ne mangent que de la viande hachée. Elle a même des enfants qui affirment n’avoir pas très faim et ne vouloir qu’une moitié de pomme ou de poire, pour mieux attraper une autre moitié: tout pour ne pas couper eux-mêmes leur fruit!

En réalisant une étude en 2002 sur la nutrition dans la restauration scolaire, le docteur Jean-Michel Lecerf a constaté que le niveau socio-professionnel des parents jouait beaucoup sur la quantité de restes [PDF] laissés par les enfants:

«Les enfants de milieux socio-professionnels moins élevés étaient ceux qui jetaient le plus, mangeaient le moins, alors qu’ils en avaient peut-être le plus besoin.»

Il y a souvent un véritable travail sur les aliments à faire avec les enfants, comme s’en est rendue compte Anne Coret, parent d’élève qui est allée manger plusieurs fois dans des cantines du 20e arrondissement parisien, et se rappelle d’une fois où il y avait une pomme pourrie dans un panier de pommes bio:

«Ils étaient écoeurés, on aurait dit qu’ils n’avaient jamais vu de fruit pourri! Complètement choqués…»

Les plus jeunes ne sont pas les seuls à rechigner devant de la viande non prémâchée ou un fruit pas bien beau… Le docteur Jean-Michel Lecerf a aussi étudié les choix alimentaires des collégiens, et s’est rendu compte qu’ils ne brillaient pas par leur équilibre nutritionnel:

«Laisser le libre choix aux collégiens expose à ce que certains composent toujours les mêmes menus, ceux qu’ils aiment, et toujours des menus déséquilibrés.»

S’il ne va pas jusqu’à remettre le principe du self-service en question, il propose qu’on utilise davantage le «choix orienté»: donner le choix entre betteraves, carottes et asperges en entrée plutôt qu’entre betteraves et vols au vent par exemple.

Il note que beaucoup d’établissements disent simplement aux élèves qu’ils ont le droit de prendre trois choses, «et ils prennent trois entrées ou trois desserts! Non seulement je pense qu’il faut imposer entrée-plat-dessert, mais aussi le système du choix orienté, pour que, quoi qu’ils fassent, il y ait toujours un légume par exemple».

4. L’atmosphère et l’encadrement de la pause déjeuner

Combien de temps les enfants ont-ils pour manger? Déjeunent-ils seuls ou avec des animateurs? Ont-ils un rôle dans le déroulement du repas? La réussite d’une cantine ne dépend pas uniquement de ce qu’on y mange, mais aussi de comment on y mange.

La circulaire des écoliers recommandent que les enfants passent au moins 30 minutes à déjeuner, mais les cantines ne sont pas toutes assez grandes pour permettre aux enfants de manger tranquillement. Seuls 8% des établissements de l’Education nationale respectent cette recommandation. Dans 3 établissements sur 4, les enfants ont entre 16 et 30 minutes pour manger.

Les animateurs ont un rôle clé dans l’éducation des enfants au goût, mais aussi aux manières à table, et ce sont eux qui doivent veiller au bon déroulement de la pause. Marie Dubois raconte par exemple qu’à l’école primaire de sa fille, à Bordeaux, où elle a pu déjeuner avec l’association de parents d’élèves, elle a été impressionnée par «l’éducation qui est faite aux enfants lors des repas»:

«Par exemple, un système de pastilles de couleurs les oblige à rester au moins 30 mn à table (et donc à ne pas avaler leur repas en 10 mn pour aller jouer). De même, ils doivent demander l’autorisation de commencer leur plat principal, sous réserve qu’ils aient au moins goûté à l’entrée. Ils doivent ranger leur vaisselle d’une certaine façon sur le plateau avant d’aller le ranger, etc.»

Je garde encore le souvenir traumatisant de ce mono qui nous forçait à finir nos plateaux pour avoir le droit de sortir dans la cour de récré en primaire (et de ce véritable coup d’Etat auquel nous avions procédé un jour de choux de Bruxelles). Les temps ont apparemment changés en 15 ans, tous les parents / responsables de restauration scolaire / cuisiniers que j’ai interrogés m’ont juré que les animateurs ne forçaient pas leurs élèves à finir leur assiette, leur demandant simplement de goûter.

Histoire de simplifier un peu plus les choses, les animateurs ne dépendent ni de l’école, ni des caisses des écoles ou autre responsable de la pause déjeuner, mais d’une troisième entité. Et en théorie les enseignants n’ont aucun rôle dans la pause du midi, et n’ont donc pas à se préoccuper du goût ou de l’alimentation sauf si c’est dans leur programme. En fait le cinquième élément qui permettrait une cantine réellement réussie serait une meilleure communication entre toutes les personnes qui ont un lien avec cette pause-repas: parents, enfants, professeurs, cuisiniers, directeurs, animateurs, prestataires, diététiciens…

5. Vous!

Pour réussir à motiver les élus, qui motiveront le budget, qui motivera la remise aux normes d’une cantine/ l’emploi de cuisiniers, qui facilitera l’apprentissage du goût et renforcera l’importance accordée à la pause déjeuner en général, qui de mieux que vous, parent d’élève?

L’étape la plus simple pour s’investir dans la cantine de vos enfants reste déjà de regarder avec eux ce qu’il y a à la cantine ce jour-là ou cette semaine, ce qui permet à la fois de discuter des plats proposés et de ne pas faire de redite le soir même.

Mais vous pouvez aussi faire comme Anne Coret et d’autres parents d’élèves en visitant la cantine de vos enfants ou d’autres de votre arrondissement via les associations de parents d’élèves (voir le rapport par des parents d’élèves d’Orsay ici par exemple, ou encore l’initiative Made in Cantine à Paris, dont les premiers résultats devraient bientôt être publiés).

P.S.: Si vous n’êtes pas parent mais que vous vous souciez de ce que mange les enfants de votre ville, rien ne vous empêche d’écrire à votre maire, conseil général ou conseil régional!

Cécile Dehesdin

3 commentaires pour “Qu’est-ce qui fait une cantine réussie?”

  1. Bonjour,
    J’aimerais revenir sur un post précédent ou il est question de moins gacher la nouriture : ce n’est guère facile dans les conditions actuelles dans lesquelles nous faisons nos courses
    Une alternative serait de conditionner directent les achat en “pret à etre utilisé” : ex :
    5kg de carottes en promo se perdent dans le frigo, mais coupées en rondelles et congelée sur un plat avant d’être conditionnées dans un tupps ou on peu prélever la quantitée nécessaire à un plat vont permettre d’optimiser les carottes. On peu aussi les couper en cubes ou les rapper et congeler les congeler en portions.
    Une autre alternative à la congélation, est l’appertisation (en beaucaux) maison : une souppe, un bouillon de volaille, un reste de jus de cuisson dans un petit récipient de la taille d’une demi tasse vont permettre d’assaisonner un autre plat
    Cela représente énormément de travail en amont, c’est un fait, mais on gagne en temps de préparation des repas
    J’ai découvert votre blog via l’article sur les cantines scolaire (grace à Michèle L) et j’ai aprécié la justesse de vos interventions
    Belle promenade virtuelle

  2. Tu peux transmettre ça à ton maire.
    Bises

  3. A vos deux articles très intéressants, j’aimerais rajouter quelques précisions:
    Vous avez totalement raison de dire que tout le monde doit être impliqué! si ça fonctionne si bien à Péault, ce n’est pas “que” grâce à mon investissement et à ma cuisine mais aussi grâce à l’implication de la municipalité actuelle, de l’équipe enseignante (instituteurs et aides maternelles) et surtout de l’association de parents d’élèves très dynamique qui m’emploie et qui gère la cantine -et croyez moi c’est du travail: factures et encaissements des repas, règlement des factures fournisseurs, animations pour “faire rentrer” un peu d’argent dans l’association…(le tarif des repas pour les enfants est de 2,30 euros); les parents ont aussi la possibilité de s’inscrire à la cantine pour y découvrir l’ambiance et les repas servis.
    J’espère que vos billets feront prendre conscience aux communes de l’importance de la qualité de la restauration scolaire. Merci.

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