Tous inégaux devant la cantine

D’un côté il y a Elias, 8 ans, qui va à l’école dans le 10e arrondissement de Paris et ne mange rien à la cantine (sauf quand le menu propose pizza, fromage et glace au chocolat), au point que sa pédiatre lui demande d’au moins prendre le pain et le fromage, et que son père, accessoirement le rédacteur en chef de Slate.fr, me demande un article sur «pourquoi la cantine c’est pas bon».

Mais il y a aussi Sasha, 4 ans, qui va à l’école maternelle dans le 12e arrondissement, et «n’aime rien à la maison et tout à la cantine», raconte sa mère Nadia, qui ajoute:

«Il n’y a pas longtemps elle m’a dit qu’elle avait mangé des blettes. Même moi j’ai jamais mangé des blettes!»

Persuadée que «ça allait être atroce», Nadia s’est rendue (avec plaisir!) à l’évidence:

«C’est vachement bien, et mieux que chez moi.»

Sasha et Elias ne sont que deux exemples parmi des millions d’autres de vécus opposés, qui tiennent en partie aux goûts personnels des enfants, mais pas seulement:

6 millions d’enfants et d’adolescents fréquentent la cantine scolaire, pour un total d’environ un milliard de repas servis par année. Dans une semaine scolaire, la cantine peut représenter jusqu’à 1 repas sur les 3 ou 4 (si on compte le goûter) de la journée, parfois le seul repas avec des légumes ou des fruits. Mais mange-t-on aussi bien (ou mal!) dans toutes les écoles, collèges et lycées à travers le pays? Les écoliers sont-ils tous égaux devant la cantine?

Très peu de règles en commun

Pas du tout, puisque l’organisation de la restauration scolaire ne se fait pas au niveau national mais au niveau local, et qu’à part des normes de sécurité vétérinaire, ses différents acteurs ont très peu de règles communes à respecter.

L’Etat a bien mis en place un groupe expressément chargé de délivrer des recommandations nutritionnelles (le GEM-RCN), mais celles-ci ne sont pas obligatoires.

Les parlementaires ont validé le projet de loi qui les impose en restauration collective, et son décret a été publié le dimanche 2 octobre. Marie-Line Huc, diététicienne au GEM-RCN, l’attendait «d’un jour à l’autre», il devrait être appliqué dès maintenant pour les grandes cantines, et à la rentrée prochaine pour les salles qui servent moins de 80 couverts.

Au-delà de la stricte valeur nutritionnelle de chaque aliment proposé, c’est donc entièrement en fonction de l’intérêt de votre maire, votre département ou votre région (et de là de la qualité des produits et des cuisiniers) que votre enfant mangera bien (ou pas) à la cantine.

Personne ne mange la même chose

La commune est en charge de la restauration scolaire des maternelles et primaires, le département des collèges et la région des lycées. Mais là encore la qualité peut différer dans les différents lycées d’une même région, et même dans les différentes écoles d’un arrondissement.

Dans le 20e arrondissement de Paris par exemple, une partie des repas est fournie par la cuisine centrale de la caisse des écoles de l’arrondissement, une autre par un prestataire extérieur, et cinq des écoles ont encore sur place des cuisines aux normes leur permettant de cuisiner les repas de leurs élèves.

Pour le dernier jour des cours le vendredi 1er juillet 2011, les élèves de la centaine d’établissements scolaires du 20e pris en charge par sa caisse des écoles ont ainsi tous mangé du melon en entrée, un pavé de poisson mariné avec une purée crécy, un yaourt nature avec du sucre et une compote de pommes, mais leur repas n’avait pas été préparé par les mêmes personnes, ni de la même façon!

Non, chef, désolée Elias, on ne peut pas dire que «la cantine c’est pas bon», ni le contraire d’ailleurs: il n’y a pas une cantine mais des cantines, avec des façons de fonctionner différentes –cuisine sur place ou à l’extérieur? Le matin même ou la veille?– et des priorités différentes –des cuistots qui s’inquiètent de leur public? Qui ont un rapport avec les enfants? Des élus engagés, avec le budget qui suit?

Je tenterai de répondre à ces questions dans deux articles à suivre, qui expliquent toutes les manières dont les plateaux peuvent arriver dans les bras des enfants, et à quoi ressemble une cantine réussie.

Cécile Dehesdin

Photo: plateau de la cantine de l’école élémentaire Bretonneau dans le XXe arrondissement parisien. Avec l’aimable autorisation du blog Bretonneau, via Carine Tontini.

Article mis à jour le 3 octobre, après la publication du décret sur les recommandations du GEM-RCN

6 commentaires pour “Tous inégaux devant la cantine”

  1. plus les arrondissements sont petits et riches, et plus la cantine est bonne, dans les grandes lignes. Je me souviens avec émotion des menus proposés dans le 2ème arrondissement, je crois n’avoir jamais aussi bien mangé de ma vie 🙂

  2. La réponse n’est donc certainement pas à rechercher dans une uniformisation des pratiques au niveau nationale qui évoque des relents de jacobinisme mais bel et bien dans la responsabilisation des élus locaux, notamment en les interpellant sur ces thèmes lors des consultations électorales ou lors des réunions de bilan de mandat.

    Mais les parents sont aussi peu informés sur ce que mangent leurs enfants ou le déroulement des repas, notamment parce qu’ils sont en contact avec l’équipe pédagogique et administrative de l’école, mais que les repas sont gérés par une toute autre administration.

    Le menu est affiché, et semble bien prendre en compte des impératifs nutritionnels, mais difficile sur la base d’un menu de se faire une idée de la qualité. Difficile aussi sur la base des déclarations d’un enfant.

    Toutefois j’ai observé des initiatives intéressantes : des repas “exotiques” (sud africains à l’occasion de la coupe du monde, sénalais, anglais) pour stimuler les papilles, ou encore des ingrédients rares (j’ai ainsi découvert le panais à travers le menu de l’école).
    En maternelle dans le 14e les menus sont affichés et prennent

  3. Les recommandations du GEM-RCN portent sur des produits (viande, produits laitiers, poissons) et non des apports nutritionnels (protéines, calcium). Quoi d’étonnant quand on constate que ce groupe d’étude compte parmi ses membres des agro-industriels qui cherchent à placer leurs produits (parmi eux, on retrouve notamment les professionnels de la viande, il suffit de lire les dernières pages pour avoir la liste complète).
    Le GEM-RCN, basé sur une forte présence de viande, produits laitiers, poissons, ne tient pas compte non plus des enjeux globaux de notre alimentation (ses conséquences sur l’environnement, les animaux, la gestion des ressources et la santé), ni même de la liberté de conscience de ses usagers (notamment ceux qui souhaitent réduire leur consommation de produits d’origine animal ou boycotter totalement ces produits tout en ayant un repas équilibré).
    Rendre obligatoire ces normes ancrerait un modèle alimentaire égoïste et irresponsable. Au contraire, nous devrions oeuvrer à changer nos habitudes.
    Avoir des cantines de qualité, oui, mais d’une qualité qui tienne compte de la réalité de notre époque.
    D’avantages d’informations sur http://www.viande.info/

  4. […] on ne mange pas pareil dans toutes les cantines, c’est aussi parce qu’on n’y cuisine pas pareil. Certains cuisinent sur place dans l’école […]

  5. Le plateau en photographie fait très “repas de bagnard” !

  6. @Valéry Je ne cherchais pas à dire que la solution était dans une uniformisation au niveau national, mais simplement à expliquer pourquoi on pouvait manger des choses de qualité aussi différente dans deux écoles côte à côte.
    Je suis d’accord avec vous sur l’importance des élus locaux, responsabilisés par eux-même ou sous pression des parents !
    Quant à se faire une idée de la qualité, une possibilité est d’aller prendre un repas dans la cantine de son enfant, grâce aux associations de parents d’élèves

    @Antipode Vous êtes dur ! Omelette purée pomme petit suisse pain je trouve ça relativement sain comme repas (ça manque un peu de légumes…) Bon c’est vrai que ça fait un peu vide 😉

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